Toulouse et ses chevaux : quand la ville vivait au rythme des sabots

Modifié le :

Article rédigé par
PIERRE GASTOU, Direction des Archives Municipales de Toulouse
MAUD DAHLEM, chargée des projets culturels transmédia au Muséum de Toulouse

Référents scientifiques
VALÉRIE CHANSIGAUD, commissaire de l’exposition « Domestique-moi si tu peux ! »
HENRI CAP, Biologiste zoologue, Muséum d’histoire naturelle de Toulouse

Jusqu’au milieu du XXᵉ siècle, le cheval était un acteur central de la vie urbaine. On le voyait dans les rues, sur les marchés, dans les champs et jusque sur les chantiers municipaux. Aujourd’hui, il est rare d’en croiser un en ville. Pourtant, il n’a pas totalement disparu ; sa présence s’est transformée. Alors, que s’est-il passé ? Comment son rôle a-t-il changé au fil du temps ? Et quelles traces Toulouse garde-t-elle de ce lien millénaire entre l’homme et le cheval ?

Le cheval, un acteur essentiel de la ville d’hier

Un moteur de traction et d’économie

Du Moyen Âge jusqu’au début du XXᵉ siècle, le cheval est omniprésent dans la vie quotidienne. À Toulouse, il tracte, transporte, laboure et anime les grands marchés agricoles.

Les chevaux sont élevés dans les Hautes et Basses Pyrénées puis sont menés sur Toulouse où se développe un centre d’élevage de chevaux renommé. La Commission des haras y sélectionne les meilleurs étalons du Midi, attirant même des marchands étrangers.

Dans un premier temps, à Toulouse comme ailleurs, le cheval a été utilisé pour sa force et sa rapidité. Il était le moteur de tractage privilégié quand les travaux exigeaient de la vitesse et de la précision. Il était facile à dresser, plus réactif aux commandes du paysan et adapté à des sols légers ou moyennement lourds. Le bœuf, robuste et moins coûteux à entretenir, restait privilégié pour les tâches lourdes et le labour sur sols difficiles.

scène de labour avec cheval et mulet
Au 1er plan, scène de labour avec cheval et mulet ; au second plan, les cheminées des papeteries Lacourtensourt. Banlieue de Toulouse. 31, vers 1910. 9Fi5109 Archives Municipales de Toulouse.
Carte publicitaire sur Toulouse
Carte publicitaire sur Toulouse, la meilleure faucheuse du monde : « l’Hirondelle ». Années 1900. Écrite le 31 mars 1908. Correspondance au dos. Le destinataire est Monsieur Renault à Soligny (Orne). 9Fi2041, Archives Municipales de Toulouse.

Toulouse a longtemps été une ville entourée de champs et d’élevage. Au XIIe siècle, on cultivait, entre autres, les vignes de proximité pour une consommation locale.
« Toulouse est un des plus importants marchés agricoles de France, c’est véritablement une capitale agricole du Midi, trait d’union entre les vignobles du Languedoc, les pays garonnais à céréales et les herbages pyrénéens, etc. » 1
Les paysans s’y rendaient, entre autres, pour les grands marchés agricoles.

Dans les banlieues toulousaines, on le voit tirer les charrues, les charrettes ou les wagonnets des chantiers municipaux, comme sur le réservoir d’eau potable du quartier Moscou au début du XXᵉ siècle.

Travaux de constructions d'un réservoir municipal d'eau potable
[Eau et Assainissement] Toulouse. Travaux de construction d’un réservoir municipal d’eau potable (quartier Moscou), Vue panoramique en plongée du chantier. Les wagonnets sont manœuvrés grâce à la traction hippomobile, Tirage 17,5 x 24 N&B. 2Fi5395, Archives municipales de Toulouse.
Plan de la ville de Toulouse
« Plan de la ville de Toulouse dédié et présenté à Monsieur le frère du Roi », 1777, Joseph Marie de Saget, géomètre, dessinateur ; Pierre Gabriel Berthault, graveur, éditeur à Paris. Eau-forte colorée, 67 x 92 cm. Échelle : environ 1/8640. Retrouver l’original numérisé avec les légendes Plan ii686, Archives municipales de Toulouse.

Un moyen de transport incontournable

Jusqu’au XIXᵉ siècle, le cheval était le principal moyen de transport en ville. La monture était montée à dos ou, équipée d’un fiacre ou d’une calèche.

En 1838, les premières « voitures de place », nommées « Toulousaines » sillonnent la ville. En 1863, l’industriel Eugène Pons répond à l’appel de la municipalité de Toulouse pour relancer un service d’omnibus à chevaux à impériale : trois lignes traversent la cité, avec dépôt et écuries près du Capitole (l’hôtel Thibault, allées Louis-Napoléon).

À partir de 1887, de véritables tramways hippomobiles sur rails sont proposés à Toulouse. Ils sont tirés par 2 chevaux attelés en flèche. Le réseau « routier » est transformé en réseau ferré. Huit lignes seront installées et fonctionneront pendant 35 ans. Le parc comprend alors 746 chevaux ! (d’après l’inventaire du 30 juin 1903).

Omnibus à impériale de 1863
[Omnibus à impériale de 1863 de la compagnie de transport Eugène Pons, avec le contrôleur et le conducteur]. L’omnibus à impériale est un véhicule à avant-train mobile, tiré, à Toulouse, par 2 ou 3 chevaux, comprenant 22 places. Dépôt des Minimes de la Société des Transports en Commun de la Région Toulousaine situé boulevard de la Marquette. Années 1920. 2Fi5626, Archives municipales de Toulouse.
Place du Pont-Neuf vers 1910
Place du Pont-Neuf. Vers 1910. Au 1er plan, tramway hippomobile. À droite, Grand café (Brasserie des Beaux-Arts); au fond, Ecole des Beaux-Arts en travaux. 51Fi488, Archives Municipales de Toulouse.

Le cheval, l’associé incontournable des métiers de service

Le cheval est aussi indispensable aux métiers de service : pompiers, postiers, gendarmes ou militaires.

Les Archives de Haute-Garonne conservent un plan datant de 1894 montrant que la gendarmerie s’était installée dans l’enceinte de la ville (au niveau du Palais de Justice actuel) tandis que la gendarmerie à cheval s’était placée de l’autre côté du rempart, – probablement pour des raisons d’hygiène. Le bâtiment devait aussi abriter une écurie et des magasins assez vastes pour conserver le foin, la paille et l’avoine. Chaque cavalier possédait son propre cheval, d’origine française et de haute stature, avec une taille au garrot entre 1m52 et 1m60. Il était fourni par les régiments de cavalerie, âgé de 5 à 8 ans, sans distinction de robe. À Toulouse, ce serait la première brigade équestre de police. Elle avait pour mission de maintenir l’ordre, d’effectuer des escortes d’honneur et de protection, mais aussi d’effectuer des liaisons. Remplacé par les vélos et les automobiles, le cheval va disparaître peu à peu de la police lors de la Première Guerre mondiale.

Symbole de prestige et marqueur social

Posséder un cheval, c’est aussi afficher son rang. Les Toulousains fortunés se font photographier devant leurs attelages élégants ; les concours d’attelages et de saut d’obstacles attirent la haute société sur les allées des Soupirs, tandis que les courses hippiques de La Cépière deviennent un rendez-vous mondain.

Chevaux du troisième attelage de Monsieur Boyer
Chevaux du troisième attelage de Monsieur Boyer – L’Anglo-normand Éclair, et Danseur breton-normand, acheté à Marty en 1894 à 3 ans 1/2. Jardin public du Grand-Rond dit aussi Boulingrin. Vers 1894. Vue générale, prise devant les grilles du Grand-Rond, d’un cheval de profil appartenant à M. Boyer ; homme en costume et chapeau melon tenant les rênes et une cravache de dressage. 26Fi651/1, Archives municipales de Toulouse.
Concours d'attelages
[Concours d’attelages]. Allées des Soupirs. 1900-1914. Vue perspective générale d’un attelage composé de quatre chevaux, d’une voiture et de son meneur, passant devant des spectateurs massés devant les tribunes installées en bord de piste ; foule vêtue avec élégance (canotiers, chapeaux, ombrelles). En bas, à droite, timbre à sec : « VD ». 1Fi10431, Archives municipales de Toulouse.

En 1856, la première Société de courses voit le jour à Toulouse : six journées de compétition par an, des prix prestigieux, et des spectateurs venus de toute la région et même d’Espagne.

Concours de saut d'obstacles
[Concours de saut d’obstacles]. Allées des Soupirs. 1900-1914. Vue générale – prise de profil – d’un cavalier sur sa monture venant de franchir un obstacle devant de nombreux spectateurs installés dans une tribune en bord de piste ; bâtiment à l’arrière-plan. 1Fi10417, Archives municipales de Toulouse.
Courses hippiques - Hippodrome de la Cépière
[Courses hippiques – Hippodrome de la Cépière]. Hippodrome de la Cépière, chemin des Courses. 1920-1933. Foule endimanchée photographiée sur les pelouses du pesage de l’hippodrome de la Cépière en marge d’une course hippique ; à l’arrière-plan, guichets du Pari mutuel. Mention manuscrite sur la boîte : « Courses de Toulouse – Cépière – Vues – 1920-1933 – 15 clichés ». 85Fi1221, Archives municipales de Toulouse.

Un urbanisme façonné par les chevaux

Au tournant du XXᵉ siècle, Toulouse s’organise autour de la vie équestre. Les écuries – privées, militaires ou de gendarmerie – occupent cours intérieures et faubourgs tandis que celles conséquentes en nombre de chevaux, sont placées en périphérie, respectivement près de l’actuel parc de Compans-Cafarelli et du Palais de Justice.

Les rues sont larges et pavées, des abreuvoirs et relais de poste ponctuent la ville.

Toute une économie locale prospère : maréchaux-ferrants, bourreliers (à la réalisation des pièces d’attaches en cuir des attelages), selliers, charrons, éleveurs ou palefreniers.

Ancien dépôt de la société des Tramways et omnibus Firmin Pons
[Tramways Firmin Pons] Ancien dépôt de la société des Tramways et omnibus Firmin Pons, 1 boulevard de la Marquette. 4 août 1910. Photographie de groupe des peintres, menuisiers, bourreliers et tailleurs de la société des Tramways et omnibus Firmin Pons, en uniforme posant devant des hangars ; à droite Firmin Pons, assis. Au verso : « Tramways et omnibus F. Pons, de Toulouse. M. Firmin Pons, Ingénieur, Directeur général, chevalier de la Légion d’honneur. Noces d’or (12 avril – 1863-1913) ». 9Fi3963, Archives municipales de Toulouse.
Toulouse. Au premier plan

Toulouse. Au premier plan, une bourrellerie Coste « … », un Grand Café, plusieurs échoppes de part et d’autre de la rue. Au dernier plan, la façade la Halle aux Grains et la colonne du général Dupuy. 9Fi1114 – 78, Archives municipales de Toulouse.

L’évolution de notre relation au cheval

L’ère des moteurs et la fin des écuries urbaines

Avec l’arrivée des transports motorisés (automobiles, tramways électriques, métros), le cheval a perdu son rôle utilitaire en ville dès le milieu du 20ᵉ siècle. Le regard sur la présence urbaine du cheval change. Il devient un problème de santé publique en zone urbaine avec la production de grandes quantités de fumier et de déjections. Les soins vétérinaires, la nourriture, l’espace réduit sont aussi devenus des contraintes fortes qui ne font plus le poids face à des moteurs plus efficaces. Les écuries urbaines disparaissent, l’espace public est réaménagé (élargissement des voies, suppression des équipements pour chevaux) et les métiers se perdent ou se transforment. Seuls quelques vestiges rappellent aujourd’hui la présence du cheval : anneaux d’attache, chasse-roues, abreuvoirs… reliques discrètes d’une époque révolue.

Anneaux d’accroche ayant servis à l’attache des chevaux
Anneaux d’accroche ayant servi à l’attache des chevaux. Quartier de la Médiathèque Cabanis de Toulouse. CCO Maud Dahlem, Muséum de Toulouse.
Chasses-roues de calèches
Quelques chasses-roues de calèches sont encore visibles dans Toulouse. CCO Maud Dahlem, Muséum de Toulouse.
Façade du n° 93 de la rue Riquet
Façade du n° 93 de la rue Riquet, ancienne manufacture de sellerie Lupis & Frères. CCO Pierre Gastou.

Un nouveau lien avec le cheval

Notre relation au cheval est devenue moins productiviste (à noter malgré tout que des unités de police montée étaient actives à Toulouse de 2011 à 2024) et plutôt liée au plaisir et à la santé. On le retrouve dans les clubs équestres, les compétitions sportives, les spectacles, les médiations animales. Une évolution spectaculaire est le rajeunissement des cavaliers, qui sont pour la plupart, des cavalières ! 

Le cheval, autrefois icône du pouvoir et bête de travail, s’est doté d’une nouvelle image auprès d’un public très différent. On veille à sa santé et son bien-être et tout acte de cruauté à son égard est devenu insupportable. 

Le mot de la fin : l’empreinte des sabots dans la ville

Toulouse a longtemps vécu au rythme des sabots. Le cheval y a façonné les paysages, les métiers et l’identité même de la ville. S’il ne trotte plus sur les pavés du centre, son empreinte demeure, discrète mais bien réelle, dans les noms de lieux, les objets du quotidien et la mémoire collective. Aujourd’hui, notre regard sur lui a changé : du serviteur indispensable, il est devenu compagnon, symbole de nature et de liberté. Redécouvrir son histoire, c’est aussi interroger notre rapport au vivant et à la ville. Et peut-être, au détour d’une promenade, entendre encore l’écho lointain des chevaux de Toulouse.


Origine de la domestication du cheval

Le cheval sauvage est originaire des prairies au nord du Caucase, où il a été domestiqué pour la première fois avant de conquérir le reste de l’Eurasie en quelques siècles. 2 200 à 2 000 av. J.-C., ces chevaux domestiqués commencent à s’étendre au-delà de leur région d’origine avant de remplacer, petit à petit les populations de chevaux sauvages de l’Atlantique à la Mongolie. Les premiers chevaux domestiqués étaient sélectionnés parmi les plus dociles et avec une colonne vertébrale la plus solide. Aujourd’hui, les besoins ont changé. Pour les courses, les éleveurs vont exercer une sélection très poussée afin d’obtenir des chevaux encore plus grands et rapides.

Quelques races : Falabella, Dosanko, Knabstrup, Shire, Pur-sang, Andalou, Frison, Arabe, Appalosa.

Cheval
Cheval Appaloosa stallion. Crédit : Mari_art – stock.adobe.com

Bibliographie

  1. Livret-guide illustré publié par le syndicat d’Initiative de Toulouse et de la Haute-Garonne, Toulouse : imprimerie ouvrière, 1911 (AMT. BH1216)
  • Article web « Domestication, de quoi parle-t-on ? », Noémie Verstraete, Muséum de Toulouse 2025.
  • Panorama des espèces domestiquées animales – Webdoc présenté dans l’exposition temporaire « Domestique-moi si tu peux ! » du Muséum de Toulouse [octobre 2025 – juillet 2026].
  • Article « Le vignoble suburbain de Toulouse au XIIe siècle », Gilles Caster. Annales du Midi, Année 1966, 78-77-78, pp. 201-217.
  • Livre « Omnibus, tramways et autobus de Toulouse ». Christian Lacombe & Patrice Maleterre. Les Editions du Cabri, 1983.

Webographie


Image d’en tête : Fin 19e siècle. Tramway hippomobile devant le musée des Augustins à l’angle de la rue de Metz et de la rue d’Alsace-Lorraine.
1Fi5335, Archives Municipales de Toulouse.