Rencontre avec Ophélie Lebrasseur

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Propos recueillis par
ISABELLE FOUGÈRE, journaliste, en juillet 2025, dans le cadre de la préparation du dossier de presse de l’exposition.

De l’oiseau exotique au fastfood : l’odyssée de la poule

Ophélie Lebrasseur est zooarchéologue et paléogénéticienne au Centre de recherche sur la biodiversité et l’environnement (CRBE) à Toulouse et chargée de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Elle est également membre du conseil scientifique de l’exposition Domestique-moi si tu peux !.

Qu’est-ce qui vous a amenée à orienter vos recherches sur l’histoire des gallinacés ?

Pour mon doctorat de zooarchéologie, j’ai étudié les chiens et les poules en Asie du Sud-Est et en Océanie. L’objectif était de retracer la migration du peuple Lapita à travers les animaux qu’ils emmenaient avec eux. J’ai enchaîné avec un post-doctorat sur l’arrivée de la poule en Europe, une étude interdisciplinaire dont j’assurais la partie génétique. Je poursuis aujourd’hui mes recherches pour reconstituer l’arrivée des poules en Amérique du Sud, qui n’est presque pas documentée.

Les poules ont laissé peu de traces archéologiques. Pourquoi ?

On a peu de restes de poules, car leurs os sont légers et creux à l’intérieur ; ils se fragmentent facilement. Mais lorsqu’on en retrouve, on peut souvent réussir à en extraire leur ADN. Ce qui m’intéresse, c’est l’adaptation des poules à différents environnements naturels et culturels. Suivant les pratiques culturelles, est-ce qu’il y a eu des sélections particulières sur un phénotype ou un autre ? Est-ce que la poule s’est adaptée aux climats plus froids ? Pour retracer son épopée il faut croiser des données très spécifiques issues de plusieurs disciplines.  

Quels sont les grands moments de cette épopée ? 

En croisant les données de plus de 600 sites archéologiques à travers l’Europe, l’Asie, l’Afrique et l’Océanie, on a pu établir que les premiers restes de poules domestiques connus à ce jour se trouvent en Thaïlande, et ils datent d’il y a environ 3 500 ans. Les raisons de leur domestication ne sont pas encore très bien établies. On n’a pas de traces de découpe sur les os. Elle n’a donc probablement pas été domestiquée pour sa viande. On peut penser qu’elle jouait plutôt un rôle culturel à travers les combats de coqs et la fabrique des ornements avec ses plumes. Les fouilles archéologiques laissent à penser que l’avènement de la riziculture sèche, pourvoyeuse d’insectes et de céréales à longueur d’année, aurait pu potentiellement rapprocher les coqs sauvages des sociétés humaines. La poule a ensuite suivi les routes commerciales maritimes phéniciennes et grecques vers l’ouest.  

poussins

CC BY 2.0, Wikimedia Commons

À son arrivée en Europe et en Afrique du Nord, elle fait grande impression ?

Cela se produit au VIIe siècle avant Jésus-Christ. L’animal, qui vient d’une contrée lointaine et qui est très coloré, est alors considéré comme un animal exotique et même divin, avec des pouvoirs divinatoires, notamment chez les Romains. Il faut attendre plusieurs siècles pour voir une consommation de sa chair et de ses œufs. En génétique, on voit que vers l’an mil, il y a une sélection du gène TSHR, responsable d’un début de ponte beaucoup plus rapide. Elle correspond avec un décret de l’ordre des bénédictins qui autorise la consommation des poules, des œufs et des poissons pendant le carême.
C’est fascinant ! 

Les humains n’ont ensuite pas cessé de sélectionner les poules.

Et depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, notamment aux États-Unis, la production connaît une industrialisation massive, avec le développement de gros poulets pouvant nourrir toute une famille. Aujourd’hui ils pèsent quatre fois plus qu’il y a 70 ans, avec des questions quant à leur bien-être, leur médication, les maladies qui ravagent les élevages extensifs et, pour y répondre, la création de labels de qualité.  

Ce gigantisme et la surconsommation actuelle de poulet sont-ils soutenables ?

Aujourd’hui, sur la planète, on compte quatre poules pour chaque être humain. C’est un chiffre vertigineux. La poule va probablement devenir un des marqueurs de ce que l’on appelle l’Anthropocène. Tous les individus issus d’une même lignée commerciale sont actuellement génétiquement identiques. Il va falloir croiser ces lignées avec de nouvelles races, résilientes aux changements climatiques entre autres, et préserver l’agrobiodiversité. En résumé, équilibrer productivité, résilience, bien-être animal, et respect des cultures qui placent les poules au cœur de certaines de leurs traditions.