Le tambourin damaru et la trompe rkang-gling

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Article par SYLVIANE BONVIN POCHSTEIN 
Chargée des collections d'anthropologie culturelle, Muséum de Toulouse.

Des instruments emblématiques du bouddhisme Tibétain

Damaru et rkang-gling sont des instruments importants de la musique rituelle et sacrée du bouddhisme tibétain. Ils font partie des instruments de base de la vie d’un monastère.
Ils accompagnent le calendrier liturgique, les offices quotidiens, mensuels et annuels, ainsi que les célébrations exceptionnelles. Ils accompagnent également la récitation quotidienne de textes rituels associés à la pratique du gcöd. Cette technique de méditation a pour but d’éliminer l’attachement à l’ego. Elle a été introduite au Tibet entre le XIe et XIIe siècle par un yogin indien et s’est peu à peu répandue dans toutes les écoles de bouddhisme tibétain. On trouve ces deux instruments dans les sources tibétaines écrites, notamment dans de grands tantras qui consacrent des passages aux attributs musicaux de certaines divinités. Ils constituent les attributs traditionnels des maîtres religieux, des divinités d’élection ou des bouddhas suprêmes dans l’iconographie du bouddhisme tibétain. Damaru et rkang-gling évoqueraient le son qui emplit les différents paradis et sont souvent représentés dans les peintures d’offrandes destinées à orner les chapelles dédiées à des divinités.

Le tambourin damaru

Le damaru est indispensable à la célébration de certaines catégories de rituels et compte parmi les attributs d’un grand nombre de divinités protectrices de la religion. Il symboliserait des qualités telles que la sagesse et le son qu’il produit permettrait d’atteindre l’illumination. Son utilisation rituelle est codifiée : position de l’instrument tenu en main, orientation des peaux… De même, il existe plusieurs façons de jouer le damaru : selon l’instrument qui l’accompagne, selon le monastère, la région ou encore le type de célébration. Sa sonorité soutient le rythme des syllabes récitées et il existe d’ailleurs des formules mnémotechniques dans les textes qui favorisent la mémorisation du jeu requis.

Il existe différents types de damaru, tambourin en forme de sablier. Ici, les caisses de résonances sont formées par deux calottes crâniennes assemblées par le sommet et recouvertes de peaux. D’ailleurs, on l’appelle parfois « tambour crâne » (thod-dar). Les peaux sont fréquemment peintes en bleu ou vert et peuvent être décorées de différents motifs symboliques comme des mantras. On distingue ici un reste de polychromie bleue.
Certains écrits religieux importants, les tantras, mentionnent le damaru et donnent quelques préconisations quant au type de matériaux à employer pour sa fabrication : pour les caisses, l’association des crânes d’un jeune homme de seize ans et d’une jeune fille de douze ans, ainsi que de la peau de singe, quant aux boules qui fouettent les peaux pour les faire résonner, il est conseillé de les fabriquer dans l’os d’un oiseau aquatique et de les recouvrir de tissu. La rotation du poignet du musicien actionne les petites boules placées à l’extrémité des lanières fixées à la gorge du sablier qui viennent frapper alternativement l’une et l’autre peau. La ceinture de tissu, à laquelle les boules battantes sont reliées par des cordelettes, est prolongée par une poignée indispensable au maniement de l’instrument. Ici, la couleur rouge du tissu utilisé peut faire référence à la lumière et à certains pans de la doctrine du gcöd. Il est le plus fréquemment associé à la trompe rkang-gling. Le damaru est alors tenu dans la main droite et la trompe rkang-gling dans la main gauche.

Tambourin tibétain
Tambourin (damaru) tibétain, XIXe siècle, Chine, Province du Tibet, os, tissu, 30x7x6 cm – coll. muséum, MHNT.ETH.AC.TI.1
Tambourin tibétain
Tambourin (damaru) tibétain, XIXe siècle, Chine, Province du Tibet, os, tissu, 30x7x6 cm – coll. muséum, MHNT.ETH.AC.TI.1

La trompe rkang-gling

On rencontre, disséminés au sein de textes rituels, des récits relatifs à l’origine des différents instruments de musique qui jouent un rôle important dans la musique rituelle tibétaine comme la trompe rkang-gling. Ce terme signifie « flûte en jambe d’homme », mais désigne également par extension les trompes en métal ou en corne. Un récit relate l’origine mythique de cette trompe qui aurait été fabriquée à partir de la jambe d’un valeureux guerrier tibétain mort sur le champ de bataille – ou d’un brahmane indien selon les versions. La description des traitements successifs de l’os, par cycles de trois années, pour aboutir à la trompe consacrée, est une référence aux trois mondes du bouddhisme tibétain. Ses pouvoirs varient selon les écoles, mais se rejoignent sur le fait que le son qu’elle émet soumet les strates célestes, terrestres et souterraines. Elle est utilisée par le yogin pour convoquer les divinités protectrices de la religion, son pouvoir est résolument guerrier. Le rkang-gling est d’ailleurs l’attribut de nombreuses divinités protectrices. Une longue liste de valeurs symboliques est attribuée à cette trompe : détachement du monde, pureté d’esprit, acuité intellectuelle… On trouve également mention de son utilisation dans des cures de guérison effectuées par des religieux errants, dans la célébration de funérailles, mais principalement dans la pratique ascétique du gcöd ou dans la récitation de mantras et quasiment toujours accompagnée du tambourin damaru.

Rkang-gling signifie « flûte en jambe d’homme », mais, d’un point de vue organologique, il appartient bien à la famille des trompes car le son est produit par la vibration des lèvres du musicien. Selon les sources, c’est le fémur qui est utilisé. L’os est coupé sur une longueur d’environ trente à quarante centimètres, éliminant la tête du fémur, le bas de l’os constituant le pavillon et la partie sectionnée l’embouchure. Le choix de l’utilisation d’un os féminin ou masculin obéit à un processus complexe, selon l’usage et les pouvoirs prévus pour la trompe. D’après sa forme et son pavillon percé de deux trous, la trompe présentée ici servirait à appeler les messagères célestes, êtres féminins qui jouent un rôle majeur dans la transmission des enseignements religieux. Les différentes parties de l’instrument
(embouchure, pavillon…) font d’ailleurs appel à des références symboliques importantes, assimilées tantôt à des divinités, tantôt à des démons. Dans les deux cas, l’utilisation de matière osseuse humaine rappelle un concept cher au bouddhisme tibétain : l’impermanence de l’existence.


Photo d’en-tête : Trompe (rkang-gling), fémur, pigments, tissu, XIXe siècle, Chine, Province du Tibet, 14x14x16 cm – coll. muséum, MHNT.ETH.AC.TI.2