De nouvelles espèces fossiles découvertes dans le Sud de la France
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Articlé rédigé par Yves LAURENT¹, Sylvain DUFFAUD², Daniel CORBALAN³, Valérie MARTIN-ROLLAND⁴, Guy LE ROUX⁵ et Guillaume FLEURY⁶
Il y a 52 millions d’années, le Sud de la France était peuplée de crocodiles et de tortues. Un oiseau géant, plus massif qu’une autruche, côtoyait des animaux apparentés aux chevaux mais de la taille d’un renard. Les premiers mammifères carnivores possédant des ongles dominaient les écosystèmes. Les forêts abritaient certains des tout premiers singes connus…
Depuis 2006, des fouilles systématiques entreprises au lieu-dit La Borie, dans l’Aude, ont permis la découverte d’un assemblage faunistique et floristique à la richesse inattendue. Ces fouilles apportent de précieuses informations sur la répartition des communautés animales dans notre région durant l’Éocène inférieur et plus précisément à l’Yprésien. Près d’une quarantaine d’espèces de vertébrés fossiles y ont été identifiées et décrites, avec à l’heure actuelle 11 nouvelles espèces dont 3 tortues, 4 oiseaux et 4 mammifères.
Paléogéographie à l’éocène inférieur
Le début de l’Éocène est marqué par un réchauffement global, l’un des plus extrêmes identifiés à ce jour, qui se produit assez rapidement avec une température moyenne globale de 10° supérieure à la moyenne actuelle. Ce phénomène est appelé le Paléocène-Eocène Maximum Thermique (PETM) et il a notamment favorisé la dispersion des mammifères sur tous les continents, il y a 56 millions d’années.
Les calottes glaciaires disparaissent et les régions polaires se couvrent de forêts tempérées. Les océans se réchauffent de façon importante et le climat reste globalement chaud durant toute cette période. Une mer peu profonde couvre l’Europe du Nord, l’océan Atlantique n’est pas encore totalement ouvert, une connexion entre l’Europe et l’Amérique du Nord subsiste encore via la Scandinavie et le Groenland.
Les formations géologiques de La Borie sont majoritairement constituées d’épaisses couches d’argiles ocres et de niveaux plus fins d’argiles grises plus ou moins sableuses correspondant à des limons de plaine d’inondation.
On peut donc se représenter un paysage de plaine alluviale, avec des cours d’eau côtiers descendant des reliefs naissants pour aller se jeter dans la mer toute proche.
Paléogéographie à l’Éocène inférieur.
La mer est en train de se retirer vers l’ouest, à son maximum elle atteignait Béziers. Le golfe du Lion n’existe pas encore, le rivage de la Méditerranée (Thétys) est à une centaine de kilomètres au sud des proto-Pyrénées
Crédit : Sylvain Duffaud
À l’occasion de crues, ces fleuves déposent dans leur grand lit des limons qui correspondent aujourd’hui aux argiles ocres.
Le long des bras morts, ou dans des méandres à faibles courants, des petites zones marécageuses s’installent. La matière organique s’y accumule, formant une vase sombre à l’origine des argiles grises. C’est dans ces zones calmes que vont se fossiliser les restes d’animaux retrouvés à La Borie et plus particulièrement 11 nouvelles espèces.
Nouvelles espèces de tortues
En nombre de fossiles, les tortues sont de loin le groupe le plus représenté dans le gisement. Les carapaces entières ou plus qu’à demi préservées se comptent par dizaines, les fragments de carapace littéralement par milliers. Ces nombreux fossiles ont permis d’identifier six espèces de tortues dont 3 nouvelles, un nombre élevé qui montre que le biotope leur était particulièrement favorable.
Parmi les aquatiques, deux espèces nouvelles ont été identifiées à La Borie : Neochelys laurenti, décrite en 1998 sur la base d’un crâne, dont la carapace pouvait atteindre jusqu’à 40 cm de longueur et Tartaruscola teodorii décrite en 2016, dont on a retrouvé une carapace de près de 60 cm de longueur. Ces deux tortues aquatiques appartiennent au groupe des pleurodires qui s’identifient notamment par leur manière de rentrer leur tête dans la carapace, en pliant leur cou sur le côté en formant un S horizontal. Leurs carapaces sont beaucoup moins bombées que celles des tortues terrestres et elles possèdent des pattes plus ou moins palmées.
L’unique tortue terrestre appartient à une nouvelle espèce décrite en 2004 et baptisée Achilemys cassouleti. Cette tortue végétarienne, à carapace bombée, devait probablement se nourrir de fruits, feuilles et fleurs. Elle appartient au groupe des cryptodires qui replient le cou dans le plan vertical à l’intérieur de leur carapace, directement sous la colonne vertébrale.
Nouvelles espèces d’oiseaux
Le site de La Borie a livré 5 espèces d’oiseaux dont 4 nouvelles identifiées.
Un très beau matériel d’une nouvelle espèce de Gastornithidé, Gastornis laurenti, oiseau terrestre géant, inapte au vol, est représenté notamment par un squelette partiel d’un seul et même individu mis au jour en 2018. Le genre Gastornis est connu en Europe au Paléocène et à l’Éocène, et en Chine et en Amérique du Nord à l’Éocène.
En 2024, Gastornis laurenti a fait l’objet d’une reconstitution grandeur nature pour une présentation dans l’exposition temporaire « Géants » [Octobre 2024 – juin 2025] au Muséum de Toulouse.
Lire l’article « Découverte et reconstitution de l’oiseau géant disparu Gastornis laurenti »
cc by-sa-nc Tristan Delaunay, Muséum de Toulouse
Les restes de trois oiseaux appartenant à des espèces et genres jusqu’ici inconnus ont été trouvés :
Galligeranoides boriensis, il s’agit d’un échassier appartenant au groupe des Paleognathes, oiseaux ayant perdu la capacité du vol. Il est le plus ancien représentant des Palaeotididés en Europe.
Tegulavis corbalani, il s’agit d’une petite espèce de Galliformes ressemblant probablement à une poule d’eau.
Papulavis annae, il s’agit d’un oiseau appartenant au groupe des Gruiformes proche de la famille des Aramidés dont le seul représentant actuel est le courlan brun, un grand échassier aquatique d’Amérique.
D’un point de vue paléogéographique, la présence d’oiseaux géants inaptes au vol de part et d’autre de l’océan Atlantique est très intéressante : elle implique l’existence d’une connexion terrestre entre l’Europe et l’Amérique du Nord à cette époque.
L’étude des faunes de mammifères confirme cette connexion : à l’Éocène inférieur, des échanges se sont produits entre les deux continents, dans les deux sens.
Nouvelles espèces de mammifères
Quatorze espèces de mammifères, dont au moins 4 sont nouvelles, ont pour le moment été identifiées à La Borie.
Les mésonychidés sont parmi les premiers mammifères à avoir acquis une alimentation de type « carnivore » (autrement dit, riche en viande) après la crise Crétacé-Paléogène, donc après la disparition de la majorité des dinosaures qui occupaient ces niches écologiques. L’écologie de ces animaux disparus ressemble à celle des Carnivores actuels (chiens, chats, lions, renards…). Petite différence, mais non des moindres : contrairement aux Carnivores qui vivent avec et autour de nous, les mésonychidés possédaient, non pas des griffes, mais des ongles !
Les trois mandibules découvertes à La Borie sont les mieux conservées et les plus belles mises au jour en Europe pour ce groupe de mammifères. Ces fossiles nous ont permis non seulement de décrire une nouvelle espèce, Hyaenodictis raslanloubatieri, qui pesait environ 25 kg, mais également de proposer que les animaux appartenant au genre Hyaenodictis présentaient, peut-être, un dimorphisme sexuel avec les mâles nettement plus grands que les femelles.
Deux nouveaux genres et nouvelles espèces de créodontes proviverrinés, des petits carnivores, sont présents à La Borie. Cette sous-famille est considérée comme étant endémique (exclusive) à l’Europe. Probablement originaires d’Afrique ils se sont dispersés en Europe, en même temps que d’autres mammifères, pendant le Paléocène-Éocène Maximum Thermique (PETM). Ils sont les plus nombreux et les plus diversifiés des mammifères carnivores éocènes d’Europe.
Le premier nommé Boritia duffaudi, identifié grâce à la découverte d’une hémimandibule droite, correspond à un petit prédateur d’un poids estimé à 2,6 kg.
L’autre proviverriné, un peu plus grand, a été baptisé Preregidens langebadrae ; il devait peser 3,5 kg.
Les lophiodontidés étaient des périssodactyles de l’Éocène, strictement européens. Le matériel trouvé à La Borie a été attribué à un nouveau genre et une nouvelle espèce, Eolophiodon laboriense. Il se compose d’un crâne complet associé à sa mandibule ainsi que de nombreux autres restes de plusieurs individus. Il s’agit du plus grand mammifère du site, d’aspect et de la taille d’un tapir actuel. C’est également le mammifère le plus courant trouvé à La Borie : une centaine de fossiles s’y rapportent, représentant au moins 29 individus (dont 12 femelles et 17 mâles).
Sa morphologie dentaire montre qu’il était un brouteur d’herbes, de feuillages ou de fruits.
Conclusion
Cette abondance d’espèces s’explique d’abord par des conditions de fossilisation exceptionnelles, mais elle traduit aussi une réalité écologique : l’écosystème était particulièrement riche.
On peut trouver à cela deux raisons. Tout d’abord, le milieu permettait la cohabitation d’une multitude d’espèces : l’analyse des fossiles dessine une savane arborée, constituée majoritairement de feuillus, traversée par un fleuve dont les méandres, les bras morts, créaient ici et là des zones marécageuses.
Périodiquement, le fleuve en crue recouvrait toute sa plaine d’inondation, laissant à la décrue de fines couches de limon fertile, et installant des mares temporaires qui s’asséchaient à la saison chaude. La mer était proche, des remontées d’eaux saumâtres permettaient par moments l’arrivée de quelques poissons marins littoraux comme des petits requins.
Sur les hauteurs proches, non inondables, la savane clairsemée pouvait laisser place à un couvert forestier un peu plus dense : dans l’ensemble cette mosaïque de milieux écologiques variés était évidemment favorable à la biodiversité.
Le deuxième facteur est beaucoup plus global. La période semble en effet avoir été faste pour les mammifères. Elle a fait suite à un épisode climatique intense, le plus chaud des temps géologiques, qui a atteint son apogée à l’Éocène inférieur. On y constate la température moyenne de l’océan la plus élevée de tout le Cénozoïque, et surtout une augmentation de la diversité florale. Dans un monde où de nombreuses niches écologiques avaient été laissées vacantes suite à la disparition massive de la plupart des dinosaures, cette opportunité a permis la stabilisation et la diversification de l’ensemble du groupe des mammifères.
Le site de La Borie est un des témoins de cette diversification alors en cours, l’un des tout premiers pour cette période dans le Sud de la France. Nul doute que les découvertes à venir viendront compléter cette liste faunique par de nouvelles espèces.
Notes
- Paléontologue, Muséum d’Histoire Naturelle de Toulouse et Président, Association Paléontologique du Sud-Ouest
- Paléontologue, Société Paléoscènes et Secrétaire, Association Paléontologique du Sud-Ouest
- Trésorier, Association Paléontologique du Sud-Ouest
- Paléontologue, Association Paléontologique du Sud-Ouest
- Illustrateur, Association Paléontologique du Sud-Ouest
- Anthropologue, Muséum d’Histoire Naturelle de Toulouse.
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Photo d’en tête : Fouilles sur le site de La Borie. Crédit : Yves Laurent.