Clone-moi mon toutou

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Article rédigé par
DOMINIQUE MORELLO, Chercheuse CNRS, retraitée et volontaire au Muséum de Toulouse

Il y aura bientôt 30 ans, le 5 juillet 1996, naissait Dolly, la brebis mondialement connue, que des chercheurs écossais, Keith Campbell et Ian Wilmut, avaient obtenue par clonage1. C’était une grande première : un mammifère naissait sans qu’il y ait eu fécondation d’un ovule par un spermatozoïde. Depuis Dolly, les techniques se sont améliorées et le clonage d’autres animaux domestiques, vaches, chevaux, chèvres, porcs, lapins… est devenu courant. Les animaux de compagnie ne sont pas en reste, Carbon copy, le premier chat cloné, est né aux États-Unis en 2001, Snoopy, le premier chien, en 2005 en Corée du Sud. Depuis, tout ou presque n’est qu’une affaire d’argent.

Vous avez dit clonage. En quoi ça consiste ?

Deux protagonistes sont en présence : d’une part la cellule adulte nommée « cellule donneuse » car elle est la source du patrimoine génétique, et d’autre part la cellule sexuelle femelle l’ovocyte « receveur ». L’ovocyte, une fois fécondé par un spermatozoïde devient ovule, un terme qui nous est plus familier. La technique de clonage utilisée pour obtenir Dolly consiste à enlever (« énucléer ») le noyau de l’ovocyte « receveur » et à le remplacer par le noyau de la cellule adulte « donneuse ». Après quelques manipulations destinées à favoriser la reprogrammation du génome (voir légende du schéma), l’œuf (l’ovocyte manipulé) est implanté dans une mère porteuse. La gestation est suivie de très près et la naissance attendue avec fébrilité.

Dans le cas précis de Dolly, les ovocytes ont été prélevés sur la brebis adulte « Geniees » et la glande mammaire de la brebis adulte « Belinda » a fourni les cellules adultes « donneuses » de noyau. La mère porteuse n’est ni Geniees ni Belinda, mais une troisième comparse. Le nom de Dolly rend hommage à la chanteuse américaine Dolly Parson qui avait une poitrine… généreuse.

On parle de clone car le génome (l’ensemble des gènes portés par l’ADN contenu dans le noyau) de Dolly est identique à celui de Belinda, un individu déjà existant à partir duquel on peut obtenir des « Dolly bis » à volonté, même si les rendements sont le plus souvent faibles, au mieux quelques %. Cette technique de clonage s’est depuis généralisée à de nombreuses espèces domestiques et s’effectue maintenant le plus souvent avec d’autres cellules différenciées que celles de la glande mammaire, provenant d’organes variés, tels que la peau, le muscle ou le cerveau. Par exemple, c’est avec les cellules de peau d’une vache donneuse que l’INRA obtint en 1998 Marguerite, le premier veau cloné au monde. Marguerite2 et la centaine d’autres bovins nés depuis à la ferme expérimentale de l’INRA à Bressonvilliers ont permis de mieux comprendre les processus de reprogrammation et mieux connaitre les effets de l’environnement sur le développement et le vieillissement des organismes, puisqu’on s’affranchit de la variabilité génétique d’un individu à l’autre.

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Crédit : Diane Dahlem, Muséum de Toulouse

Le noyau de l’ovocyte est remplacé par celui de la cellule donneuse (cellules de la glande mammaire ou autre). Différentes manipulations sont effectuées pour synchroniser les cycles cellulaires de l’ovocyte et de la cellule donneuse. Ainsi l’ADN du noyau transféré se trouve « reprogrammé », prêt à dérouler le programme génétique sous-tendant le développement embryonnaire.

Et l’éthique dans tout ça ?

Laissons la parole à un spécialiste du clonage : « On constate chez les bovins que le clonage, pour un tiers environ des gestations établies après transplantation d’embryons clonés (un par femelle receveuse chez les bovins), induit une souffrance fœtale et peut aussi mettre en danger la vie de la mère. En effet, les fœtus sont alors beaucoup plus gros que la normale, conduisant à des mortalités fœtales mais aussi de la mère porteuse. Les autres gestations sont normales. Toutefois, les veaux qui survivent traversent souvent une période très délicate pendant les trois à quatre premiers mois après la naissance ce qui n’est pas le cas après transplantation d’embryons non clonés. On connaît encore que très imparfaitement ce phénomène associé à des dysfonctionnements du placenta. Ces souffrances induites par l’homme aux fœtus et à une partie des femelles receveuses sont inadmissibles pour une utilisation en routine à des fins de production de lait ou de viande ».

Un clone est-il vraiment une copie conforme de l’original ?

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© UMR BDR INRA, NICOLAS Bertrand

En observant la photo des vaches blanches et noires présentant, à gauche, la vache n°38 donneuse de cellules de peau et ses 17 clones, par ordre d’âge décroissant de 4 ans à 3 mois, on se rend vite compte qu’ils sont morphologiquement différents (par exemple la taille et la répartition des tâches noires). C’est la preuve que les gènes ne font pas tout. L’environnement fœtal, post-natal, l’alimentation, etc. modifient le programme génétique sans affecter les gènes eux-mêmes. Un peu comme une partition qui serait jouée par différents chefs d’orchestre : la partition est la même, mais les nuances sont différentes. Et ces nuances peuvent tout changer ! C’est ce qu’on appelle l’épigénétique (voir ANNEXE en fin d’article). Nous avons tous observé diverses situations qui résultent de l’épigénétique : il est bien connu que les « vrais » jumeaux humains issus de la division fortuite d’un embryon au tout début de son développement évoluent différemment au cours de leur vie alors qu’ils ont le même génome. De même, les larves d’abeille, génétiquement identiques deviennent des reines ou des ouvrières selon qu’elles sont nourries à la gelée royale ou au pollen et miel.

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Crédit : Diane Dahlem, Muséum de Toulouse

Une autre raison fait différer les clones : les cellules contiennent dans leur cytoplasme de petits organites, les mitochondries, les centrales énergétiques de la cellule. Elles sont dotées de leur propre ADN, l’ADN mitochondrial (ADNmt) qui influence le programme génétique contenu dans l’ADN nucléaire et qui contrôle la vie des cellules.

Les enfants porteurs de maladies mitochondriales montrent bien le rôle fondamental de l’ADNmt dont certaines mutations peuvent entraîner des maladies plus ou moins sévères (diabètes, myopathies…). Pour en revenir à nos « moutons », les 17 clones de la photo ont bien tous été obtenus à partir de cellules génétiquement identiques (toutes provenant des cellules de la peau de la vache 38) mais leurs noyaux ont été transférés dans des ovocytes au réseau mitochondrial différent.

Et pour quelques 50 000 à 100 000 dollars de plus…

Le clonage des animaux de compagnie est devenu une véritable entreprise lucrative. Chats et chiens sont clonés depuis près d’un quart de siècle. La Sooam Biotech Research Foundation, basée en Corée du Sud, est devenue leader dans ce domaine3. En 2016, elle se targuait d’avoir cloné en 10 ans plus de 800 chiots. Elle propose de congeler les cellules de votre compagnon à 4 pattes de son vivant et ainsi de procéder au clonage quand vous le souhaitez, avant ou après sa mort. Mais, plus fort encore, elle prétend aussi effectuer un clonage à partir d’animaux décédés, ce qui représente effectivement une « performance » technique car les chances d’obtenir des cellules viables diminuent très rapidement après la mort. C’est peut-être pourquoi la compagnie a nommé Chance le boxer cloné à partir des cellules de Dylan mort deux semaines auparavant et dont la presse a fait grand bruit le 26 décembre 2015. Fort de son succès, ce laboratoire qui n’est pas encore soumis à une réglementation sur le clonage, propose aux particuliers de cloner leur chien même décédé pour la modique somme de 100 000 $ !

De telles expériences contribuent à des améliorations techniques qui pourraient être mises à profit pour cloner des espèces en voie de disparition, voire disparues. Encore faudrait-il que la communauté scientifique en soit informée. Rappelons que le directeur de cette fondation – qui projette maintenant de cloner à très grande échelle chiens, chevaux, et jusqu’à un million de vaches par an, selon la presse chinoise – le docteur Woo Suk Hwang, a écopé de deux ans de prison pour avoir falsifié des résultats et affirmé avoir cloné un embryon… humain.

Ces agissements ne sont pas sans susciter de nombreuses controverses. Des questions multiples se posent sur la nécessité de « gâcher » tant d’animaux pour obtenir à un prix exorbitant, en profitant du vide juridique, un animal qui de toutes les façons sera différent de celui qu’on aimait tant. Helen Wallace, la directrice d’un organisme à but non-lucratif spécialisé dans le bien-être animal et la génétique, Genewatch, a proposé une interdiction du clonage d’animaux domestiques.

On l’aura compris outre le très grand nombre d’animaux nécessaires à l’obtention d’un clone viable et les questions éthiques encore loin de faire consensus international, faire revivre son animal favori tel qu’il était avec son aboiement ou son miaulement si particulier, son pelage si doux est un rêve impossible. Mieux vaut faire appel à la société Cuddle Clones basée aux USA qui propose de reproduire à l’identique votre animal de compagnie… en peluche. Et pour une somme raisonnable, vous avez au moins la garantie de la copie conforme !


ANNEXE : Épigénétique (retour à l’article)

Les lettres ne font pas tout

Les scientifiques ont longtemps pensé que le fonctionnement des cellules était uniquement dicté par la séquence de l’ADN (« la partition génétique »). Mais, comment expliquer que les cellules d’un même organisme qui ont pourtant le même ADN aient des fonctions différentes ? Pourquoi les vrais jumeaux, partageant le même patrimoine génétique, évoluent-ils différemment au cours de leur vie ? Pourquoi des larves d’abeille, génétiquement identiques, deviennent des reines ou des ouvrières selon qu’elles sont nourries à la gelée royale ou au pollen et miel ? Pourquoi, suivant qu’il fait froid ou chaud au moment de l’éclosion, les bébés tortues sont des mâles ou des femelles ? Pourquoi seules les chattes, et non les chats, sont tricolores ?

La génétique propose, l’épigénétique dispose (Medawar et Medawar, 1983)

Tous ces exemples sont des manifestations de l’épigénétique (du grec ancien ἐπί, épí, « au-dessus de », et de génétique). Comme son nom l’indique, c’est une couche d’informations supplémentaires, des « altérations, des nuances » qui modifient la façon dont la partition génétique est jouée dans chaque cellule. Certaines marques épigénétiques (modifications chimiques) sont directement apposées sur l’ADN ; d’autres concernent les protéines autour desquelles l’ADN s’enroule (les histones). Selon la présence ou l’absence de ces marques, le gène (ou groupe de gènes) concerné est ou non actif, c’est à dire qu’il y a ou non synthèse d’une molécule correspondante (ARN/protéines). Lorsqu’une cellule acquiert une marque épigénétique, ses cellules filles (qui dérivent par division successive) vont conserver la marque. L’exemple le plus connu de l’épigénétique est l’inactivation du chromosome X, le sujet de prédilection de la généticienne Edith Heard. C’est le mécanisme par lequel un des deux chromosomes X d’une cellule de mammifère femelle est « éteint ». Ce processus a lieu durant le développement embryonnaire et affecte aléatoirement, le chromosome X hérité du père ou le chromosome X hérité de la mère. Cette inactivation aléatoire explique, en partie, pourquoi seules les chattes peuvent avoir 3 couleurs.

L’exemple de la couleur du pelage illustre bien comment le hasard intervient dans l’aspect (le phénotype) des chats. De nombreux gènes gouvernent la couleur du pelage. L’un d’entre eux se trouve sur le chromosome X sous forme de deux « variantes » (allèles), l’une codant la couleur noire, l’autre orange. Chez les mâles qui sont, rappelons-le, XY (un X hérité de leur mère et un Y hérité de leur père), le pelage est toujours uniforme : soit tout noir soit tout orangé, selon l’allèle (noir ou orange) qu’ils possèdent. En revanche, les femelles (XX) qui ont hérité un X de leur mère (Xm) et un X de leur père (Xp) ne sont pas uniformément colorées mais bicolores, tachetées, avec des zones noires ou orangées. Selon les territoires, c’est soit l’allèle porté par le Xp soit celui porté par le Xm qui s’exprime, l’autre est inactif. Cette inactivation, aléatoire, d’un des X est un phénomène épigénétique qui a lieu au cours du développement embryonnaire. Votre chat calicot dont vous aimiez tant la couleur ne vous sera jamais rendu, quel que soit le boniment de la compagnie de clonage que vous solliciterez !

Image : CC BY-SA 3.0 schmid-klampfer , via Wikimedia Commons

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CC BY-SA 3.0 schmid-klampfer , via Wikimedia Commons

Les marques épigénétiques sont réversibles : on efface tout et on recommence

Au début du développement embryonnaire, les marques épigénétiques présentes sur l’ADN des cellules sexuelles, spermatozoïdes et ovules, sont effacées, avant que de nouvelles marques n’apparaissent, liées aux contacts cellule-cellule, aux hormones, aux stress, à l’alimentation,… La littérature scientifique décrit quelques cas où des marques épigénétiques ne s’effacent pas et sont ainsi transmises sur quelques générations. Les scientifiques s’interrogent sur ces « caractères héritables » et sont encore loin de comprendre comment l’environnement, au sens large du terme (stress, alimentation, pollution, perturbateurs endocriniens, tabac, alcool, modes de vie…) interfère avec les mécanismes normaux d’effacement.


Bibliographie

  1. Sheep cloned by nuclear transfer from a cultured cell line. KH Campbell et al.Nature. 1996 Mar 7;380(6569):64-6. doi: 10.1038/380064a0.
  2. https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/cab98009663/marguerite-veau-clone
  3. « Chiens clonés : une réalité », une vidéo de 30 Millions d’amis https://www.youtube.com/watch?v=IVQ2Pqjsahg

Image d’en tête : réalisée à partir d’une illustration AI Emojis