Le faux-gavial de l’Aude
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Article rédigé par STÉPHANE JOUVE
Paléontologue, responsable des collections de géosciences, Sorbonne Universités, UPMC, centre de Recherches sur la Paléobiodiversité et les Paléoenvironnements.
La région de Castelnaudary (Aude) et en particulier la localité d’Issel, a fourni quantité de fossiles de mammifères, mais aussi de nombreux restes de crocodyliformes au cours du XIXe siècle. Malheureusement, la plupart de ces restes sont fragmentaires ou maintenant perdus.
En 1931, Gaston Astre a décrit un nouveau genre et deux nouvelles espèces de crocodyliformes sous les noms d’« Atacisaurus crassiproratus », représenté par une mandibule fragmentaire, et d’« Atacisaurus glareae », basée sur des fragments de crâne. Si la première a été révisé et son identification revue au milieu des années 90, il n’en avait encore rien été pour la seconde. Pourtant, Astre avait référé à cette même espèce un crâne dont seul manquait l’extrémité du museau.
Si les fragments de crânes sur lesquels reposent l’espèce et originellement conservé dans les collections de la Société d’Études Scientifiques de l’Aude sont aujourd’hui disparus, le crâne est quant à lui conservé au muséum de Toulouse (MHNT). C’est ce spécimen (MHNT.PAL.2010.0.49) qui a donc fait l’objet d’une étude approfondie.
Même si le crâne préservé au MHNT présente des similitudes certaines avec le fragment figuré par Astre et représentant l’espèce « Atacisaurus glareae », la perte de ce matériel ne permet pas de comparaison et d’attribution de notre crâne à cette espèce. En outre, ce crâne, dont le rattachement au groupe des tomistominés (groupe des actuels Tomistoma) est incontestable, présente des caractères morphologiques proches des plus anciens membres de ce groupe, et en particulier du genre Kentisuchus. Néanmoins, certains caractères distinctifs permettent d’ériger une nouvelle espèce reposant sur le crâne du MNHT, devenant ainsi l’holotype de la nouvelle espèce nommée Kentisuchus astrei.
L’analyse des liens de parenté de cette nouvelle espèce permet de reconstituer l’histoire des migrations des tomistominés, en particulier de leurs premiers représentants. La distribution des espèces du genre Kentisuchus, et leur isolement en Atlantique Nord ainsi que dans les bassins Aquitain et du nord-Est de l’Espagne à l’Yprésien inférieur, suggèrent une fermeture du corridor marin entre l’Atlantique nord et la Téthys (ancêtre de la méditerranée) à travers l’Aquitaine et l’Espagne bien plus tôt que ce qui était envisagé jusqu’à présent.
Pour en savoir plus
- “A new basal tomistomine (Crocodylia, Crocodyloidea) from Issel (Middle Eocene; France): palaeobiogeography of basal tomistomines and palaeogeographic consequencesuve”, Stéphane Jouve, Zoological Journal of the Linnean Society, 2016, 177: 165-182. DOI : 10.1111/zoj.12357
Photo d’en-tête : Détail de crâne de Kentisuchus astrei – coll. muséum, MHNT.PAL.2010.0.49