Domestication, de quoi parle-t-on ?
Modifié le :
Article rédigé par
NOÉMIE VERSTRAETE, co-muséographe de l’exposition temporaire « Domestique-moi si tu peux ! ».
Quel est le point commun entre le chien, l’alpaga, le ver à soie, le blé, la rose et le pommier ?
Ce sont toutes des espèces considérées comme domestiques !
Quelle est la différence entre une espèce sauvage et une espèce domestique ? Et entre une espèce domestique et une espèce apprivoisée, domptée, dressée, éduquée, cultivée ? Toutes les interactions entre l’être humain et un animal ou une plante ne sont pas forcément liées au processus de domestication.
Qu’est-ce qui différencie la domestication de ces autres interactions ? C’est ce que nous nous proposons de découvrir.
La domestication animale
Les origines de la domestication animale
Pour mieux comprendre ce qu’est un animal domestique, prenons l’exemple du tout premier animal domestiqué par l’humain : le chien.
Le loup gris est l’ancêtre sauvage commun des multitudes de races de chiens que nous connaissons aujourd’hui, du Chihuahua au Husky ! Il y a au moins 15 000 ans, les loups et les êtres humains se sont rapprochés au Paléolithique Supérieur, à la dernière période glaciaire. Ce rapprochement s’est produit dans plusieurs régions du monde : en Europe, en Sibérie et au Proche-Orient. Pour des raisons encore débattues par les scientifiques, une relation entre l’être humain et le loup s’est développée. Les êtres humains ont gardé près d’eux les loups répondant le mieux à leurs besoins. Ils ont probablement sélectionné les loups les plus dociles, ceux avec lesquels la cohabitation était la plus simple.
Progressivement, le mode de vie du loup a été modifié causant des changements morphologiques‚ physiologiques et comportementaux, appelés « syndrome de domestication ». Les premières transformations physiques du passage de l’espèce sauvage (loup) à l’espèce domestique (chien) sont des oreilles pendantes et la queue enroulée. Le chien présente également des comportements plus juvéniles que ceux du loup. Par exemple, il joue davantage que lui à l’âge adulte. Il est également plus sociable et a développé des capacités de communication plus importantes.

Traits physiques et cognitifs chez le chien, issus du syndrome de domestication. Illustration proposée dans l’exposition « Domestique-moi si tu peux ! » [17 octobre 2025 – 7 juillet 2026] au Muséum d’histoire naturelle de Toulouse.
CCO Teddy Bélier, Muséum de Toulouse.
Qu’est-ce qu’un animal ou une plante domestique ?
- Un organisme dont les caractéristiques génétiques ont été volontairement modifiées par rapport à celles de leurs ancêtres sauvages.
- Cette modification est issue de conditions de sélection qui ne se rencontrent pas habituellement dans la nature. Elles résultent d’une sélection artificielle contrôlée et intentionnelle opérée par l’être humain.
- Cette modification transforme les traits morphologiques, biologiques et comportementaux de l’espèce, augmentant ainsi son intérêt et son utilité pour l’être humain. Ce processus de domestication a émergé il y a plus de 10 000 ans, dans plusieurs foyers d’origine. Et il continue encore aujourd’hui !
Un ancêtre sauvage, une multitude de descendants domestiques
Toutes les races domestiques d’une espèce descendent du même ancêtre sauvage. Par exemple, le sanglier est l’ancêtre sauvage des cochons. La domestication de l’auroch a donné naissance aux nombreuses races de vaches actuelles, et le mouflon sauvage aux moutons domestiques.

Crédit : M – stock.adobe.com ; Hein Nouwens – stock.adobe.com.

Crédit : illustration from Brockhaus Konversations-Lexikon 1908.
Domestiqué, apprivoisé, dompté, dressé, éduqué ?

Tous les liens entre l’être humain et les autres animaux ne se réduisent pas systématiquement à de la domestication. Certaines espèces n’ont pas été totalement domestiquées, d’autres pourraient le devenir au prix d’immenses efforts en termes de temps et de moyens, d’autres ont un statut particulier entre domestique et sauvage…
Prenons le cas de l’éléphant d’Asie. Il est utilisé comme auxiliaire de guerre, de travail ou mis en scène dans les cirques. C’est après un long apprentissage, souvent contraint, que cet animal prélevé dans la nature acquiert les capacités qu’on attend de lui. Il n’est donc pas totalement domestiqué, mais plutôt dressé !
Le zèbre, lui, a fait l’objet de plusieurs tentatives de domestication. Mais le processus n’a jamais été mené à son terme. Certains individus ont été apprivoisés. Mais de nature moins docile et plus craintive que le cheval, c’est donc ce dernier qui s’est avéré plus adapté à nos besoins. Il a donc été domestiqué dans le monde entier.
Ainsi, le succès de la domestication d’un animal repose sur plusieurs facteurs :
- La biologie de l’espèce doit être compatible avec la captivité. Son comportement ne soit pas trop agressif. Il faut également qu’elle offre un intérêt matériel ou culturel pour un groupe humain.
- Il faut également que les exigences biologiques ou écologiques de l’espèce ne rendent pas l’élevage trop complexe ou trop coûteux.
- Il est nécessaire d’isoler les animaux en cours de domestication de leurs congénères toujours sauvages, car les hybridations dues à la rencontre entre individus sauvages et domestiques affaibliraient la sélection et l’obtention de caractéristiques particulières souhaitées.
- Ce processus exige patience et persévérance : la sélection artificielle doit se poursuivre sur un grand nombre de générations, car la transformation d’une population sauvage prend du temps.
Un processus infini ?
La domestication est un processus, qui continue encore aujourd’hui. De nombreuses races domestiques ont été « améliorées » voire créées par l’être humain, pour certains usages spécifiques. C’est en tous cas l’objectif de la zootechnie, créée au XIXe siècle. Cet ensemble de sciences et techniques mises en œuvre dans l’élevage des animaux vise à optimiser la qualité et la quantité des « produits animaux », dans les meilleures conditions possibles.

CC BY-SA 2.0 Robert Scarth from London, England.
Dans les années 1960-1970, de nouvelles races animales hybrides ont été créées pour une meilleure productivité. Les races mixtes, qui produisaient à la fois du lait et de la viande, ont été peu à peu abandonnées. La spécialisation de races d’animaux d’élevages s’intensifie. C’est dans ce contexte qu’a été développée la race bovine Blanc-bleu Belge. La sélection de cette race à viande s’est faite sur le gène culard, qui provoque une hypertrophie musculaire de l’arrière-train.
D’autres espèces sont encore en cours de domestication. C’est le cas par exemple du saumon d’Atlantique. Son élevage intensif pour l’alimentation humaine s’est développé à partir des années 1960. Les caractères les plus recherchés sont une augmentation de la taille et une accélération de la croissance. Pour cela il a fallu maîtriser son cycle de vie, de sa croissance en eau douce vers la vie en eau salée dans des cages flottantes en mer sans risque de mortalité massive.
Certaines espèces d’animaux domestiques peuvent s’extraire du contrôle de l’être humain, après un abandon ou une fuite, et survivre par eux-mêmes. Ce phénomène de marronnage ou de féralisation s’observe chez des populations retournées à l’état sauvage. Elles évoluent alors de manière indépendante et s’adaptent à leurs nouveaux environnements naturels ou urbains, créant parfois des nuisances aux écosystèmes… C’est le cas des pigeons. Omniprésents dans nos villes, ils sont parfois perçus comme des nuisibles, à cause de leurs déjections et des maladies qu’ils véhiculent. Pourtant, ces volatiles familiers sont simplement les descendants des pigeons que nous avons domestiqués par le passé, cohabitant tant bien que mal avec nous aujourd’hui…

CC BY-SA 4.0 Muséum de Toulouse.
Et chez les végétaux ?
Les origines de la domestication végétale
Pour comprendre ce qu’est une plante domestique, prenons un exemple particulièrement remarquable : celui du maïs. Le maïs vient du Mexique, au nord de l’Amérique centrale. C’est là qu’il a été domestiqué, à partir d’une plante sauvage appelée la téosinte. Cette plante produit de tous petits épis avec des grains durs et pointus. Sa domestication a permis d’avoir des grains plus gros, plus tendres et plus nourrissants. On ne sait pas exactement quand les épis ont commencé à pousser à mi-hauteur de la plante, mais ce changement est important : il permet de récolter plus facilement et d’avoir un meilleur rendement.


Caractéristiques physiques du maïs issus du syndrome de domestication. Illustration proposée dans l’exposition « Domestique-moi si tu peux ! » [17 octobre 2025 – 7 juillet 2026] au Muséum d’histoire naturelle de Toulouse. CCO Teddy Bélier, Muséum de Toulouse.
Un ancêtre sauvage, une multitude de descendants domestiques
On compte environ 1 200 variétés de maïs rien qu’au Mexique ! Elles sont issues de sélections en plein champs. Elles ont toutes ont en commun la téosinte comme ancêtre sauvage.
Aujourd’hui, la plupart des maïs cultivés dans le monde sont des lignées hybrides, issues de croisements réalisés aux États-Unis durant la première moitié du XXe siècle.
Plus généralement, chez la plupart des plantes domestiques, un seul ancêtre sauvage est à l’origine de nombreuses variétés différentes. Les choux constituent un exemple spectaculaire de domestication. À partir de plantes sauvages, la domestication a permis d’obtenir des légumes aux allures très contrastées comme le chou rave, les choux de Bruxelles et des choux où la tige fleurie, appelée inflorescence, se change en brocoli ou chou-fleur.


Gravure de chou sauvage, ancêtre sauvage de nombreuses variétés de choux (de gauche à droite : chou de Bruxelles, chou-fleur, chou de Savoie).
Crédit : Quagga Media – Alamy Banque D’Images
Plante domestiquée, cultivée, favorisée ?
La domestication végétale est plus complexe à définir que celle des animaux. La frontière entre domestique et sauvage est plus poreuse. Certaines espèces végétales sont très proches génétiquement de leur parent sauvage. Leur point commun est qu’elles ne sont plus sauvages, car dépendantes de l’humain pour survivre.

Autre particularité : la domestication végétale ne nécessite pas forcément un travail en laboratoire ! Elle peut se faire dans un simple jardin et ne réclame pas de grands moyens. Le processus de domestication passe notamment par un contrôle des formes de reproduction. En plus de la reproduction sexuée naturelle, il repose sur une reproduction asexuée qui permet de conserver les caractères intéressants d’une plante, par une opération de bouturage, greffage ou marcottage.
Le greffage permet d’associer les caractéristiques de plusieurs plantes. Il consiste à créer une nouvelle plante à partir de deux plantes : un « porte-greffe », choisi pour sa vigueur, sa résistance aux maladies et ravageurs ou à certaines conditions climatiques, et un « greffon » de la même famille botanique, dont les caractéristiques sont liées au produit que l’on cherche à produire (qualité des fleurs, des fruits, etc.). La clémentine, par exemple, est le résultat d’un croisement entre un mandarinier (Citrus reticulata) et un oranger (Citrus sinensis). Ce croisement, naturel au départ, est perpétué par le greffage, réalisé en prélevant les greffons sur des clémentiniers déjà existants.
D’autres techniques, comme le bouturage ou le marcottage, permettent de multiplier un individu à l’infini. Il s’agit d’une forme de clonage, pour lequel il faut isoler un fragment de la plante pour qu’il produise de nouvelles racines.
Prenons le cas de l’ail des ours, originaire d’Eurasie. Cette plante des sous-bois est consommée et utilisée pour ses vertus médicinales depuis le Néolithique. Bien qu’il s’agisse d’une espèce sauvage, qui prospère facilement dans son milieu naturel, il est possible de la cultiver en divisant les bulbes que fait naturellement la plante. On obtient alors des clones. L’ail des ours n’est pas à proprement parler domestiqué, car sa forme sauvage et sa forme cultivée restent identiques.
La sélection artificielle, elle, permet la création d’hybrides issus du croisement d’espèces différentes. Plusieurs générations de croisement sont nécessaires pour créer une nouvelle variété.
C’est le cas de l’orchidée papillon, l’une des plantes préférées de nos intérieurs. Comprenant près de 30 000 espèces, la famille des Orchidées présente une exceptionnelle diversité de formes et de couleurs. De nombreuses variétés hybrides ont été artificiellement créées pour devenir les magnifiques plantes cultivées que nous offrons pour les fêtes ou les anniversaires.

Un processus infini ?
Comme pour les animaux, le processus de domestication végétale continue encore aujourd’hui. Le XIXe siècle constitue l’âge d’or de l’agronomie, science qui vise à comprendre et améliorer les caractéristiques des plantes. L’amélioration des connaissances génétiques permet d’obtenir de nombreuses et nouvelles variétés de plantes : en laboratoire, par des croisements, voire par la transgenèse (incorporation d’un ou plusieurs gènes étranger dans un organisme vivant. Cela donne des variétés dites Organismes Génétiquement Modifiées (OGM.). L’agronomie a été à l’origine de l’amélioration, voire de la création, de nombreux végétaux.
La plupart des OGM ont été développés pour tolérer un herbicide (notamment le glyphosate) ou produire un insecticide (Bt). Le terme « Bt » fait référence au Bacillus thuringiensis, une bactérie dont le gène codant la protéine insecticide a été extrait. L’une de ces deux propriétés sont présentes chez les OGM les plus répandus (maïs, soja ou coton). Les OGM sont essentiellement cultivés sur le continent américain (États-Unis, Brésil, Argentine, Canada). Interdits en France, ils peuvent néanmoins être importés pour nourrir le bétail.
Conclusion
Que ce soit pour le végétal ou pour l’animal, les premiers pas de la domestication gardent certains de leurs mystères : il reste difficile de déterminer précisément le moment et les motivations qui ont donné naissance à ce phénomène. Toutefois, la domestication est apparue à différentes reprises, indépendamment, dans plusieurs régions du monde. Elle a évolué au fil du temps et selon les cultures, en fonction des critères retenus pour la sélection d’espèces différentes : pour le travail, la chasse, la consommation, les rituels, l’ornementation voire plusieurs à la fois.
Au fil du temps, la domestication a su mobiliser de nouvelles découvertes techniques, jusqu’à aujourd’hui, où le génie génétique ouvre des perspectives jusqu’alors inaccessibles. Il est par exemple possible de mêler les caractères d’espèces très éloignées pour améliorer ou donner naissance à une nouvelle variété ou race domestique, et ce en un temps très court. Toutefois, devons-nous succomber à la multiplicité des possibles pour remanier et adapter le vivant toujours plus finement à nos besoins ? Ne devrions-nous pas nous questionner sur ces relations de notre espèce au reste de la biodiversité, centrée sur l’utilité qu’elle peut avoir pour nous ?
PETIT LEXIQUE
- ACCLIMATER : adapter un animal ou une plante à un nouveau milieu.
- APPRIVOISER : rendre un animal sauvage moins craintif et plus docile.
- BOUTURAGE : technique de multiplication des plantes consistant à donner naissance à un nouvel individu à partir d’un organe ou d’un fragment d’organe isolé (morceau de rameau, racine, tige…).
- DOMESTIQUER : rendre domestique une espèce sauvage.
- DOMPTER : réduire un animal sauvage à l’obéissance.
- DRESSER : habituer un animal à faire docilement et régulièrement quelque chose.
- CULTIVER : prendre soin d’une plante en vue de sa récolte.
- ÉDUQUER : apprendre à un animal à vivre avec ses semblables ou avec les humains.
- ESPÈCE : ensemble d’individus qui peuvent se reproduire entre eux et engendrer une descendance fertile.
- GREFFAGE : technique qui consiste à unir une partie d’un végétal (le greffon) à une autre (le porte-greffe), pour combiner les qualités de deux variétés.
- MARRONNAGE : retour à la vie sauvage d’un animal domestique.
- SÉLECTION ARTIFICIELLE : méthode de contrôle de la reproduction des organismes visant à obtenir des individus aux caractères intéressants.
- RACE : population animale domestiquée, sélectionnée artificiellement, résultant d’une même espèce et possédant des caractères communs héréditaires.
- TRANSGENÈSE : incorporation par manipulation génétique d’un ou plusieurs gènes dans un organisme vivant. Cela donne des variétés dites OGM.
- VARIÉTÉ : population végétale, cultivée ou non, possédant des caractères communs.
Image d’en tête : CCO pxhere.com
