Insolite : ni champignon, ni plante, ni animal, ni bactérie, simplement BLOB !

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Article rédigé par DOMINIQUE MORELLO, mis en ligne le 18 janvier 2018 et actualisé 5 Juillet 2023.
Chercheuse CNRS, retraitée et volontaire au Muséum de Toulouse d'après les propos d'AUDREY DUSSUTOUR.

Ni champignon, ni plante, ni animal, mais un organisme unicellulaire eucaryote : une unique cellule avec des centaines de noyaux, capable de se déplacer, parfois à vive allure, « d’apprendre » à aimer la caféine ou la quinine et de transmettre ses apprentissages à un congénère en fusionnant avec lui, qui se dessèche mais ne meurt pas… bizarre, bizarre. Partons à la découverte du blob.

Carte d’identité : on m’appelle blob mais qui suis-je ?

Ma famille, mon ADN : Mon nom latin Physarum polycephalum m’a été donné il y a presque 200 ans par le mycologue américain Lewis David von Schhweinitz (1780-1834). Et oui, j’avais une tête de champignon ou plutôt comme mon nom l’indique de vessie à plusieurs têtes ! Je ne m’y retrouve pas… Heureusement, 150 ans plus tard, en 1969, un autre mycologue, Lindsay Olive (1917-1988) m’a fait changer de classe… et m’a rangé chez les protistes (qui signifie le premier de tout). Du coup, je ne suis ni plante, ni animal, ni champignon, mais j’ai mon propre règne, créé pour moi en 1997 par la généticienne Sandra Baldauf, les mycétozoaires (mycetozoa) ou myxomycètes.  En 2015, mon génome a été séquencé en grande partie. Depuis, j’appartiens aux amibozoaires (amoebozoa). Mais attention, ne me prenez pas pour une amibe.  Il est probable que mes ancêtres soient sur Terre depuis 1 milliard d’années, un bail quand même !

Ma nourriture : j’appartiens au règne des protozoaires, comme la paramécie, des organismes eucaryotes mobiles à une seule cellule (unicellulaire) qui se nourrissent par phagocytose ; c’est à dire que « j’englobe » ma nourriture, comme les macrophages des humains qui phagocytent des débris cellulaires et des agents pathogènes. Dans la nature, je perçois ma nourriture à distance et je mange tout – des champignons, des bactéries, des levures et d’autres micro-organismes-, une vraie poubelle, je fais le vide. Au labo, on me nourrit de flocons d’avoine. J’adore !

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Blob dans son milieu naturel – Crédit : Dominique Belzanne

Ma taille, ma forme, ma couleur, mon déplacement : En fait, il existe 140 espèces du genre Physarum (Physarum roseum, Physarum rubiginosum, Physarum virescens,…), certaines vivant spécifiquement dans le désert, d’autres sous la neige, chacune avec sa couleur : jaune, bleu, vert, rose, rouge, mais toujours sans forme particulière et ressemblant, certains le disent, à duvomi visqueux. Miam ! En fait, je suis partout, sur tous les continents et j’apprécie particulièrement les milieux humides et ombragés.

Quand on me regarde de près, on voit comme des veines (photo David Vila) dans lesquelles circule le « protoplasme », un liquide rempli de nutriments et de molécules essentielles pour ma survie, mon « sang » en quelque sorte. Il circule très vite (1 à 2 mm par seconde) et c’est ce qui permet à chaque partie de ma cellule d’être alimentée. C’est grâce à la contraction de ces veines que je me déplace. Ce fait de bouger est une des raisons pour lesquelles je n’appartiens pas au règne des champignons. En allongeant des extensions, des pseudopodes, je me déplace en moyenne de quelques millimètres par heure mais je peux faire des pointes à 4 cm par heure.

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Pseudopodes du blob Polysareum polycephalum -Crédit : Audrey Dussutour

Grâce à mes veines qui se contractent, je me propulse dans une direction ou dans plusieurs, simultanément. C’est pratique pour partir à l’assaut de contrées lointaines. Ce faisant, je dépose une sorte de mucus qui me « repousse »et me permet ainsi d’explorer les environs sans jamais revenir sur mes pas. Je suis ainsi capable d’établir des réseaux optimisés (trouver le plus court chemin entre deux sources de nourriture)1. De là à m’utiliser pour optimiser des réseaux de télécommunication, il n’y a qu’un pas…

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Réseau veineux de blob. Les veines se contractent et se relaxent toutes les 90 secondes grâce à des protéines contractiles, l’actine et la myosine ; ce sont les mêmes protéines qui assurent la contraction de nos muscles. Crédit David Vila ScienceImage CBI CNRS

Ma taille dépend de mon environnement. Dans de bonnes conditions, je double de taille toutes les 12h. Mon record de taille en laboratoire, 10 m2, a été obtenu en Allemagne par des chercheurs de l’université de Bonn, mais on raconte qu’on a trouvé dans les Appalaches (USA), un blob qui s’étendait sur plus de…1,3 km2. J’ai récemment obtenu un nouveau record en atteignant une longueur de 53 m 9 cm au cours d’une expérience de science participative dans laquelle plusieurs centaines de fragments de blob ont été fusionnés, à la queue leu leu 2.

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Crédit : Radio France – Gaëlle Fontenit

Ma terreur : la lumière. Quand je vois le jour, je meurs, enfin presque, sauf à une phase très particulière de mon cycle, le stade sporocyste, stade au cours duquel j’émets des centaines de milliers de spores qui, chacune, donnera un blob. Si on rentre dans les détails de mon cycle, on obtient le schéma suivant : une spore germe et donne naissance à une mixamibe, un gamète, qui fusionne avec un gamète d’un autre sexe. Facile : il parait qu’il existe 720 types sexuels différents chez Physarum ! Leur fusion produit un zygote qui se nourrit, par phagocytose, de bactéries, formant alors un plasmode, visible à l’œil nu. A maturité, il fructifie, formant des sporocystes. Chacun contient 100 000 spores. Un blob donne ainsi plusieurs millions de descendants…vertigineux.

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Cycle de vie de p.polycephalum CC BY SA 4.0 Tim Tim (VD fr), via wikimedia. https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=97134549

Pourquoi je m’appelle blob ?

Audrey Dussutour, directrice de recherche au CNRS, qui travaille au CRCA à l’université de Toulouse III m’a été présentée il y a une quinzaine d’années. Après notre première rencontre, très sceptique, elle m’a laissé seul avec des flocons d’avoine une nuit entière dans un carton sur la paillasse de son labo, bouh…. Le lendemain, j’avais doublé de volume et mon aspect lui a fait penser au héros d’un film de science-fiction avec Steve McQueen (1958), The blob, un extraterrestre gluant et informe qui mange tout sur son passage. Et voilà pourquoi je m’appelle blob. Je figure même, depuis 2021, dans le petit Larousse illustré. Mais horreur : si, comme la définition le mentionne, mon nom courant est bien Physarum polycephalum et que je suis effectivement capable de me déplacer et doué d’une certaine forme « d’apprentissage » fondée sur l’absorption de molécules issues de mon environnement ou de la fusion avec un autre blob, de grâce effacez ce qui est écrit : je ne suis pas un champignon !

Pourquoi les scientifiques s’intéressent-ils à moi ?

Il y a plein de raisons, en particulier car je ne meurs pas ! Si on me coupe en morceaux, je « cicatrise » et referme ma membrane (ma peau) en moins de 2 minutes. Du coup, on peut faire des tas d’expériences en partant d’un seul et même blob qu’on découpe en de nombreux morceaux identiques, des clones en quelque sorte, qui peuvent fusionner ou vivre chacun leur vie. C’est pratique pour les chercheuses et les chercheurs : ils peuvent faire plein de tests différents en partant du même matériel et ils ne sont alors jamais dépourvus de « contrôle interne ». C’est ainsi qu’ils ont observé que je me précipitais sur le sucre, mais aussi le cholestérol, la cortisone, les antidépresseurs… En revanche, je n’aime ni les substances amères ni les substances salées ; je déteste la cocaïne, la caféine, la quinine,… Mais, dans certaines conditions expérimentales, je peux « apprendre » à les aimer. En poussant un peu, je pourrais peut-être même servir à mieux comprendre les phénomènes d’addiction. Plus fort encore, si j’apprends à aimer une substance que j’évite naturellement, le sel par exemple, je peux transmettre cet apprentissage à l’un de mes congénères avec lequel j’ai fusionné, comme s’il existait une sorte de transfert d’informations entre nous. Pas mal ! On a appris récemment que ce transfert d’information reposait non seulement sur un changement chimique, par incorporation de la substance répulsive, mais aussi sur une modification morphologique, comme l’atteste le grossissement de mes veines quand je me trouve sur un substrat répulsif.

Je ne meurs pas, mais je vieillis : je suis moins mobile et je finis par me dessécher. Je deviens ce que les scientifiques appellent un sclérote, et je peux rester des années dans cet état de dormance…de 2 à 30 ans selon la température, jusqu’à …la prochaine goutte d’eau. A propos, quand je suis parti dans l’espace en 2021 avec Thomas Pesquet, dans la station spatiale ISS, je suis sorti de mes 4 mois de dormance beaucoup plus vite que je ne le fais sur Terre et ma vitesse de migration était 2 à 3 fois plus grande. Comme quoi la gravité a une forte influence sur ma physiologie3.

Enfin, je rajeunis : quand je sors de dormance ou quand je suis « vieux » et qu’on me fusionne avec un jeune blob, je rajeunis ! Je vais faire des envieux (sans jeu de mot !)…

Plus on m’étudie, et plus les domaines dans lesquels je pourrais être utile semblent s’élargir. Par exemple, je produis des substances antibactériennes (Escherichia coli, Staphylococcus Aureus…), anti-champignons (Candida albicans) ou anti-parasite (Trypanosoma cruzi). Une de mes molécules, la polycephine, pourrait aussi être utilisée pour transporter de manière ciblée des médicaments et aider à optimiser des chimiothérapies. Depuis peu, je sers à évaluer l’influence du réchauffement climatique4. Bref, je suis à toutes les sauces…

Blobs à vendre et élever

Maintenant que tout le monde me connait, de nombreux ouvrages/media sont disponibles. Si vous voulez faire plus ample connaissance, vous pouvez lire le livre d’Audrey Dussutour Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le blob sans jamais oser le demander 5 et Moi le Blob6, écrit par Audrey Dussutour et illustré par Simon Bailly ou encore regarder la conférence récente donnée par A. Dussutour7. Le film qu’a réalisé en 2019 Jacques Mitsch sur moi est aussi une petite merveille 8. Enfin, si vous avez envie de m’apprivoiser, vous pouvez acheter un kit complet sur internet. Mais n’hésitez pas à aller me chercher dans les bois humides et m’élever dans les meilleures conditions9.


Notes

1. Atsushi Tero, Seiji Takagi, Tetsu Saigusa, Kentaro Ito, Dan P. Bebber, Mark D. Fricker, Kenji Yumiki, Ryo Kobayashi et Toshiyuki Nakagaki, « Rules for biologically inspired adaptive network design », Science, vol. 327, no 5964,‎ 2010, p. 439-442
2.53 mètres et 9 centimètres : le record du monde du plus long blob battu à Châteauroux (francebleu.fr)
3.https://www.lemonde.fr/sciences/article/2021/08/10/le-blob-creature-a-nulle-autre-pareille-s-apprete-a-embarquer-a-bord-de-l-iss_6091075_1650684.html1
4.https://www.cnrs.fr/fr/derriere-le-blob-la-recherche-une-experience-de-science-participative-du-cnrs
5.Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le blob sans jamais oser le demander (Equateurs Science) 2018, maintenant disponible en édition de poche
6.Moi le Blob illustré par Simon Bailly et publié chez HumenSciences https://www.humensciences.com/livre/Moi-le-blob/120
7.Conférence donnée par A. Dussutour le 21 février 2023: https://www.youtube.com/watch?v=vz6OFRCJI5c&t=2148s
8.Film 2019 Jacques Mitsch Arte Le blob un génie sans cerveau, https://www.arte.tv/fr/videos/082726-000-A/le-blob-un-genie-sans-cerveau/
9.Comment élever un blob tutoriel produit par le CNRS : https://www.youtube.com/watch?v=uyVVknT0gpY


Photo d’en tête : Crédit : Audrey Dussutour