Faucon pèlerin à Toulouse : une solution à la crise du logement

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Article par CHARLOTTE BRESSON, CHRISTOPHE PASQUIER, JEAN-PHILIPPE THELLIEZ, ALAIN JEAN
Ornithologues bénévoles du groupe Ornithologie de l’association Nature en Occitanie.

Le faucon pèlerin – Falco peregrinus – fascine l’homme et son imaginaire depuis des temps immémoriaux. Aujourd’hui, l’espèce conquiert de nouveaux territoires, en particulier en ville, pour le plus grand bonheur des passionnés qui œuvrent pour sa protection.

Un oiseau fascinant

Des millions d’années d’évolution ont façonné cet oiseau unique, parfaite machine à voler et redoutable chasseur. Le faucon pèlerin se caractérise par un corps puissant et fuselé à large poitrine. Les parties dorsales présentent un plumage gris métallique, sobre et brillant, alors que les parties ventrales, plus claires, sont striées de noir. Sa tête ronde, presque entièrement noire, porte deux tâches descendant sur les joues blanches, les moustaches, soulignant des yeux noirs cerclés de jaune. Ce faciès caractéristique a notamment inspiré la civilisation égyptienne antique qui donne à Horus, divinité des plus anciennes, une tête de faucon.

De corpulence modeste, le Faucon pèlerin n’en reste pas moins un superprédateur connu pour être l’animal le plus rapide grâce à ses piqués vertigineux. Chasseur de haut vol, il se nourrit exclusivement d’oiseaux de petite à moyenne taille (étourneaux, pigeons, grives, …) qu’il traque et capture en vol. Sa technique de chasse compte d’ailleurs parmi les plus grands spectacles naturels qu’il nous soit encore donné de voir : « Quand il plane lentement à perte de vue dans le ciel nu, il peut, en quelques secondes, passer de l’état d’oiseau de chair et de plumes à celui de projectile irréel déchirant l’espace comme un météore. » (Monneret R.-J., 2005). En ville, si vous avez la chance de le voir en chasse au-dessus de la Garonne, il utilise le plus souvent une autre stratégie consistant à faire s’envoler les pigeons des toits, puis de se saisir d’un individu distrait ou affaibli qu’il va ensuite, posé discrètement sur un lardoir, plumer et manger.

Nicheur rupestre, le pèlerin affectionne les falaises rocheuses du bord de mer et de moyenne montagne. Il est présent sur tous les continents à l’exception de l’Antarctique. Cependant, depuis une vingtaine d’années, il n’est pas rare d’observer des individus « urbains », très certainement attirés par des concentrations d’oiseaux, investir des sites artificiels tels que des cheminées d’usines, des cathédrales et des immeubles hauts. Ainsi, cet oiseau à l’histoire mouvementée pourrait presque devenir à terme une espèce commune et familière.

Un vertigineux déclin des populations

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Crédit : Pixabay

Avant la fin de la seconde guerre mondiale, une faible pression de chasse, la pratique d’une agriculture traditionnelle et la présence de grandes régions inhabitées permettaient aux populations de faucons pèlerins d’exister et de prospérer dans les meilleures conditions. Les effectifs des différentes populations mondiales étaient alors 2 à 5 fois supérieurs à ce qu’ils furent dans les années 1980.

Puis, jusqu’à la veille des années soixante-dix, les populations de faucons pèlerins, et celles de bon nombre de rapaces, connaissent un déclin vertigineux. Les causes sont alors toutes liées à des activités anthropiques. Pour certains, cet oiseau de haut vol est le parfait compagnon de chasse. Les nids sont alors pillés pour alimenter la fauconnerie en jeunes oiseaux faciles à dresser. Pour d’autres, ce prédateur volant, ce bec crochu, est un nuisible qu’il faut éliminer par tous les moyens (empoisonnement, tirs au fusil). Ajouter à cela l’utilisation des pesticides dans le modèle d’agriculture intensive et le « printemps silencieux », décrit en 1962 par Rachel CARSTON, où la responsabilité des pesticides organochlorés (DDT notamment), empêchant la reproduction de l’espèce en fragilisant les coquilles des œufs, conduit à l’hécatombe. Durant cette période, le faucon pèlerin a bien failli disparaitre de la surface du globe.

A partir de 1970, à la vue des chiffres alarmants du déclin, une protection à la fois médiatique, pratique et législative se met en place pour sauver les rapaces. Les campagnes d’informations (presse, radio, télévision) et réseaux de surveillance des sites de nidification se multiplient et l’oiseau est inscrit sur la liste des espèces protégées. Enfin, le bannissement quasi-total des pesticides organochlorés aura permis de stopper la chute des effectifs, de donner aux populations sauvages un regain de vitalité et de sauver l’espèce de l’extinction.

Suivi de la population toulousaine

Graphique issu d'un manuel scolaire (source incconue) montrant la coorélation entre l'interdiction de la DDT, de l'aldrine et la dieldrine et l'épaisseur de la coquille des faucons pèlerins.
Figure : Graphique issu d’un manuel scolaire (source incconue) montrant la coorélation entre l’interdiction de la DDT, de l’aldrine et la dieldrine et l’épaisseur de la coquille des faucons pèlerins. ©DR

Depuis plus de 30 ans, l’association Nature En Occitanie coordonne le suivi des Faucons pèlerins dans les milieux naturels de la région et de ceux fréquentant les points culminants de la ville rose. Ce suivi, effectué par des bénévoles, a permis de mettre en évidence la présence d’individus de passage, hivernants mais aussi sédentaires sur l’agglomération toulousaine et d’étudier leurs comportements. De 2 à 7 individus séjournent dans le centre-ville de Toulouse selon les périodes de l’année, avec la présence d’individus des deux sexes.

En 2009, un mâle et une femelle se partagent le centre-ville, occupant respectivement les rives droite et gauche de la Garonne. En janvier 2016, un nouvel individu mâle, cantonné depuis sur un site industriel du sud toulousain, vient gonfler les effectifs de cette petite population sédentaire. En 2017, 2 individus immatures de passage ont pu être observés lors de leur halte plus ou moins longue, aux abords de l’Hôtel Dieu et de la Grave.

Plusieurs interactions entre mâles et femelles ont été relevées par les observateurs bénévoles mais malheureusement sans formation de couple, ni de reproduction avérée. Les raisons de cette absence de nidification en ville ne peuvent être clairement établies mais il pourrait s’agir d’une absence de sites favorables.

Mise en place de deux nichoirs

Bien que le Faucon pèlerin semble s’être relativement bien adapté au milieu urbain, qui lui offre sources de nourriture et de tranquillité, sa nidification en ville reste un fait rare, faute de possibilités satisfaisantes. Dans ce milieu particulier, la mise en place de nichoirs favorise la reproduction de l’espèce et augmente sa productivité. Elle peut également, en leur offrant des conditions favorables, inciter les individus présents à la reproduction.

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Légende : Installation d’un nichoir en haut de l’immeuble – Crédit : Nature Midi Pyrénées

Inspirée par les aménagements mis en place par des villes comme Paris, Dunkerque ou encore Bourg-en-Bresse, et motivée par le succès de reproduction du couple voisin de la cathédrale Sainte-Cécile d’Albi, l’association a décidé d’installer 2 nichoirs.

  • Grâce au soutien et à l’enthousiasme de la société gestionnaire d’un site industriel du sud toulousain, un premier nichoir est installé en septembre 2016 sur une cheminée de 80 mètres de haut en cours de rénovation. Ce perchoir en bord de Garonne offre une vue bien dégagée sur le sud de Toulouse et Langlade. Le site était fréquenté par un couple depuis au moins 2015.
  • En novembre 2016, avec l’aide du Conseil départemental de la Haute-Garonne, un second nichoir est posé sur un immeuble du quartier Saint-Cyprien. Ce site était et est toujours régulièrement fréquenté lors d’hivernages.

Grâce à la forte sensibilité naturaliste des partenaires rencontrés et à la perspective de limiter les coûteux investissements liés à la lutte contre les pigeons invasifs, le projet a été très bien accueilli et rapidement concrétisé.

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Légende : Suivi de la population du faucon pèlerin par des bénévoles Toulouse -crédit : Nature Midi Pyrénées

2017 – Première tentative de reproduction encourageante, mais …

Après quelques jours d’adaptation à de nouveaux éclairages sur la cheminée, le couple, qui n’a à aucun moment du chantier quitté le site, commence rapidement à visiter et à s’approprier le nichoir. Dès lors les bénévoles assurent une surveillance très régulière et découvrent les mœurs reproductives de l’espèce. Puis, au début de l’année 2017, les premiers indices de nidification sont rapportés.

Fin février, un premier accouplement est observé à proximité de la cheminée et un mois plus tard la couvaison est confirmée dans le nichoir du site industriel. Durant tout le mois que dure l’incubation, le mâle vient ravitailler sa femelle et prendre le relais pendant qu’elle se nourrit à proximité. Au moment tant attendu de l’éclosion, le comportement de la femelle change mais ne traduit rien de bon. Elle quitte le nichoir et sa couvée de plus en plus souvent, de plus en plus longtemps et aucune action de nourrissage n’est observée …

Malgré cet échec, dont la ou les raison(s) n’ont pu être identifiée(s), cette première tentative de reproduction reste tout à fait encourageante. Les deux individus fréquentent toujours ce site adapté et favorable à leur nidification. Les bénévoles continuent de surveiller nos deux oiseaux à l’affût des premières parades qui auront lieu au cours de l’hiver.

2019- Le début de la lignée …

Début 2018, les parades reprennent mais pendant la couvaison le comportement du mâle nous inquiète car il ne prend pas la relève de la femelle sur les œufs lorsqu’elle sort, ce sera un nouvel échec au final.

En 2019, premier succès ! Le couple semble avoir tiré les leçons de ses échecs. Trois jeunes sont menés à l’envol non sans difficulté. En effet, le premier jeune s’est retrouvé au sol sans pouvoir remonter sur la cheminée la nuit tombée. Il a disparu durant la nuit, probablement victime d’un prédateur (un renard est suspecté). Le second retrouvé au sol a passé la nuit en sécurité dans un carton avant d’être relâché le lendemain matin sur le toit d’un des bâtiments et de regagner seul le nichoir dans la journée.

En 2020, la couvaison n’est pas menée à son terme. Nous n’aurons l’explication qu’en août lors d’une visite du nichoir. Le plancher s’est partiellement désolidarisé et a conduit à une perte des graviers disposés sur le plancher. Après une petite réparation et un rechargement en substrat le nichoir est de nouveau opérationnel.

En 2021, nouveau succès avec 4 jeunes. Les conditions météorologiques ont été très favorables cette année.

En 2022, trois jeunes dont un qui, retrouvé le soir au pied de la cheminée, a passé une nuit dans un carton.

En 2023, de nouveau 4 jeunes à l’envol.

Tableau : Succès reproductif des Faucons pèlerins dans le nichoir de Langlade (2017-23)

20170Echec de la couvaison
20180Echec de la couvaison, mâle non couveur, intervention en août sur la cheminée
20193Un œuf non éclos, un faucon perdu au sol le 17 mai. Un second faucon au sol dort dans un carton le 21 mai. Reste 1 mâle et 1 femelle.
20200Echec de la couvaison (perte du substrat du plancher du nichoir), réparation du nichoir en août.
202142 mâles et 2 femelles. Premier vol le 22 mai.
202231 mâle et 2 femelles. Premier vol le 19 mai. Un faucon au sol qui a dormi dans un carton.
202343 femelles et 1 mâle. Premiers vols du 17 au 22 mai

Malheureusement, malgré une présence continue d’individus en particulier l’hiver, le second nichoir installé à Saint-Cyprien n’a jamais été utilisé pour l’instant par les faucons pèlerins. En effet en 2022, le vieux mâle a été remplacé par un jeune mâle (initialement en plumage juvénile) qui a repris le territoire et une partie des habitudes de son prédécesseur sur Saint-Sernin et les Jacobins. Une femelle est également présente en hivernage régulier sur Saint-Cyprien depuis 4 hivers. D’autres individus de passage sont observés (adultes et immatures) ou malheureusement retrouvés morts (2021 et 2022).

Bien que la protection légale de l’espèce soit assurée et que les populations ne semblent plus directement menacées, les atteintes à l’environnement et les pratiques sportives de plein air constituent encore des risques importants pour le succès reproductif de l’espèce. L’aménagement de sites artificiels, en zones rupestres comme urbaines, constitue une alternative efficace quant à la préservation de cette espèce.

Nous tenons à remercier tous les observateurs bénévoles impliqués dans le suivi ainsi que nos partenaires pour la fabrication et la pose des nichoirs.


Pour en savoir plus :

DEOM P, Le faucon pèlerin, La Hulotte 1993, 42-43
DEOM P, La malédiction d’Horus, La Hulotte 1993, 45
DEOM P, Nestor Falco a des ennuis, La Hulotte 1993, 46-47
RATCLIFFE D, The Peregrine Falcon. 1993, Edition P &AD Poyser, London
MONNERET RJ, Le faucon pèlerin,  2017, Editions Delachaux et Niestlé, Paris
PASQUIER C, FEHLMANN M, BRESSON C, FREMAUX S, JEAN A, THELLIEZ, JP. Monitoring of Peregrine Falcons in Pyrenees and Toulouse, Midi-Pyrénées région, France. 4th international Peregrine conference, post conference book 2018. Ornis Hungarica 26(2) :143-158
LPO Mission Rapaces, Le Faucon pèlerin, http://rapaces.lpo.fr/faucon-pelerin


Photo d’en tête : faucon pèlerin dans la ville de Toulouse – Crédit : Nature Midi Pyrénées