Des virus xxl qui bouleversent les dogmes de la virologie

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Articlé rédigé par VALÉRIE MILS,
Maître de conférence en biologie cellulaire – Faculté des Sciences et Ingénierie – Université Paul Sabatier à Toulouse.

Il y a 150 ans, Pasteur décrivait les premières bactéries, puis ce fut le tour des virus. Leurs tailles permettaient aisément de les distinguer. Mais les critères discriminant ces deux microbes furent balayés au tournant du 21 e siècle avec la découverte d’un premier virus géant, le Mimivirus, rapidement suivie d’autres « monstres de foire ». Mais loin d’être des impasses évolutives, les virus géants sont légion et très diversifiés. Mimivirus, Pandoravirus, Mirusvirus,…qui sont-ils ? Ces virus XXL sont présentés en 3 articles qui décrivent successivement leurs découvertes et caractéristiques principales, leurs potentielles origines évolutives et le rôle important qu’ils pourraient jouer dans l’évolution des procaryotes et des eucaryotes, et enfin l’importance des virus géants dans la régulation des écosystèmes et leurs possibles effets sur la santé humaine.

De la découverte de mimivirus à la définition d’un nouveau type de virus

A la fin du XIXe siècle, Louis Pasteur devint le savant populaire que l’on connaît en démontrant que de petits organismes microscopiques présents dans l’eau de boisson étaient responsables de la plupart des maladies infectieuses qui sévissent à l’époque. Ces organismes, de la taille du micromètre (µm, 10-6m), étaient visibles au microscope optique dont la résolution maximale était de 0,2µm. Leur aspect en forme de bâton leur valut d’être dénommés « bactéries », du grec bakterion signifiant bâtonnet. Suite à cette découverte, l’assistant de Pasteur mit au point un système de stérilisation de l’eau par passage au travers de filtres de porcelaine de diamètre 0,2µm qui retenaient donc les bactéries. Cette méthode de filtration devint la technique de référence pour démontrer l’origine bactérienne d’une infection.

Or, c’est en utilisant cette même technique que, moins de dix ans plus tard, Dimitiri Ivanovsky démontra l’existence de particules infectieuses beaucoup plus petites que des bactéries et qui n’étaient pas éliminées par la filtration. Contrairement aux bactéries, ces particules n’étaient pas visibles au microscope optique et il fallut attendre l’invention du microscope électronique pour les observer (la limite de résolution du microscope électronique est 1000 fois supérieure à celle du microscope optique soit 0,0002µm). Ces nouveaux venus furent dénommés « virus » du latin virus, signifiant poison ou venin. Ces différences de taille et de filtrabilité furent dès lors considérées comme les critères discriminant les bactéries des virus et permettant de les séparer physiquement. Ce fut le cas pendant plus d’un siècle jusqu’à ce qu’une nouvelle découverte vienne chambouler ces notions que l’on croyait bien établies.

Filtre Chamberland (Figure 61) extrait des Leçons élémentaires de chimie (1897), de Bussard et Dubois.
Domaine public

L’histoire qui nous intéresse débute en 1992. Une épidémie de légionellose frappe la ville de Bradford en Angleterre. Les agents de cette maladie sont des bactéries du genre Legionella qui vivent en tant que parasite d’eucaryotes unicellulaires, des amibes du genre Acanthamoeba. Divers prélèvements dans la ville permettent d’identifier les amibes en question dans une tour de refroidissement de l’hôpital. Ces cellules contiennent dans leur cytoplasme des éléments supposés être des bactéries bien que celles-ci ne ressemblent pas aux Legionella et résistent aux méthodes classiques de caractérisation des bactéries. En 1995, l’échantillon suspect est envoyé dans le laboratoire marseillais dirigé par J.M. Claverie mais les chercheurs français se heurtent au même problème d’identification des bactéries intracellulaires. Et pour cause : une ultime analyse en microscopie électronique révèle la vraie nature de l’intrus : il ne s’agit pas d’une bactérie mais d’un virus et pas n’importe quel virus ! c’est un géant d’une taille respectable de 0,7µm et dont la capside polyédrique coiffée d’une couronne de filaments ne laisse aucun doute sur la nature virale. Cette chevelure ancrée à la capside est composée de sucres complexes de composition proche de la paroi des bactéries. Ce nouveau virus possède donc non seulement la taille d’une bactérie mais également son revêtement « sucré ». Ces deux caractéristiques permettent donc à ce virus de se faire phagocyter par l’amibe Acanthamoeba au même titre que les bactéries qui lui servent habituellement de repas. Ce virus mimétique fut donc baptisé Mimivirus pour Microbe-mimicking virus et sa caractérisation a été publiée en 2003, soit plus de 10 ans après les premières tentatives d’isolement.

Les amibes sont des micro-organismes qui se nourrissent en phagocytant et digérant des bactéries. Par contre, comme toute cellule eucaryote, elles peuvent être infectées et altérées par infection par des virus, en particulier des virus géants.
Crédit : Carla Di Guardia
Crédit : Claverie JM, Abergel C. Laboratoire IGS Université Aix-Marseille

La caractérisation de ce premier virus géant fut l’occasion de nombreuses surprises qui bousculèrent définitivement l’image très réductrice des virus qu’on avait jusqu’alors. Outre sa taille très inhabituelle, Mimivirus possède un génome constitué d’ADN double brin linéaire de 1181 Kpb (soit une succession d’un million cent quatre-vingt-un mille paires de base (bp) ou « lettres » A,T, G, C), codant pour 979 protéines. C’est tout à fait surprenant sachant que la plupart des virus à ADN ont un génome de quelques milliers de paires de base et une capacité codante inférieure à dix protéines. Pour comparaison, la taille de la plus petite bactérie vivant à l’état libre, Mycoplasma genitalium, est de 0,45µm et son génome, deux fois plus petit que celui de Mimivirus, ne code que pour 482 protéines. Chez les virus géants tout semble donc démesuré, la taille de la particule mais également la longueur du génome et sa capacité codante. Aujourd’hui, ces deux critères sont différemment utilisés par les chercheurs pour classer un virus dans la catégorie des virus géants : pour les uns, c’est la possibilité de visualiser le virus en microscopie optique, donc une taille de la particule supérieure à 0,2µm, qui fut choisie comme caractéristique. Pour les autres, c’est la capacité codante du génome c’est-à-dire le nombre de protéines encodées qui doit être supérieur à 500 protéines pour faire partie du « club ».

Comparaison d’une bactérie, d’un virus et d’un virus géant.
Crédit : Carla Di Guardia

Depuis 2003, d’autres virus semblables à Mimivirus ont été caractérisés et constituent la famille des Mimiviridae (aussi appelés Megaviridae). Tous sont caractérisés par une morphologie unique du virion avec une capside icosaédrique de taille pouvant aller jusqu’à 2µm (tupanvirus) et renfermant un génome d’ADN double brin d’une taille respectable allant jusqu’à 1260 Kpb et codant jusqu’à 1120 protéines. Pendant environ dix ans, les Mimiviridae restèrent les seuls représentants connus des virus géants si bien qu’ils furent pendant tout ce temps considérés comme des « monstres de foire », le fruit d’une aberration évolutive.

Des virus géants de plus en plus nombreux et diversifiés

Considérer les virus géants comme des impasses évolutives n’est plus de mise depuis la découverte en 2013 de deux nouveaux représentants appartenant à une même famille, distincte de celle des Mimiviridea. Leur capside en forme d’amphore présente un aspect très différent de celle de Mimivirus. Et surtout, leur génome est encore plus grand que ceux des Mimiviridae avec une capacité codante incroyable allant jusqu’à 2500 protéines ! Ignorant ce que de tels mastodontes pouvaient réserver comme surprise, ces virus reçurent le nom de Pandoravirus en référence au mythe grec de la boîte de Pandore dont le contenu devait avoir des conséquences désastreuses pour l’humanité s’il venait à être libéré. Heureusement, contrairement à la légende, les pandoravirus ne représentent aucun danger pour l’homme puisqu’ils n’infectent à priori que les amibes du genre Acanthamoeba.

Pandoravirus quercus, trouvé à Marseille. Coupe fine visualisée en microscopie électronique. Barre d’échelle : 100 nm.
© IGS- CNRS/AMU

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Après avoir recherché les virus géants dans des échantillons d’origine aquatique (océans, lacs, eaux de tours réfrigérantes, piscines…), l’équipe de J.M. Claverie s’inspire des travaux du Professeur Gilichinsky1 et part à la recherche de ces virus dans des échantillons provenant du pergélisol (permafrost) sibérien. Les chercheurs tentent alors d’isoler de nouveaux virus en mettant en contact des échantillons de pergélisol dégelé avec des cultures d’amibes du genre Acanthamoeba. L’expérience est un succès : deux nouveaux types de virus géants sont alors isolés, prouvant que ces virus avaient gardé leur potentiel infectieux après un sommeil de plus de 30 000 ans ! Les deux virus en question se révèlent de natures différentes et sont les premiers représentants identifiés de deux nouvelles familles de virus géants.
Le premier possède une capside en forme d’amphore comme les pandoravirus et a reçu le nom de Pithovirus sibericum, du grec Pithos signifiant amphore. Mais la comparaison s’arrête là : le génome de P. sibericum, ne fait « que » 0,6 Kpb et ne code que pour 476 protéines qui n’ont aucune parenté avec celles des pandoravirus.
Le second spécimen isolé du même prélèvement a une forme globalement sphérique mais les particules virales se déforment lors de leur passage dans les phagosomes après ingestion par l’amibe et semblent devenir « molles ». Le virus est alors baptisé Mollivirus sibericum. Son génome est de taille et de capacité codante similaire à celui de Pithovirus sibericum mais les deux virus n’ont pourtant aucune parenté phylogénétique.

Depuis, une révolution technologique, la métagénomique2, a permis d’étendre le champ de recherche de nouveaux virus. En effet, grâce à cette technique, il n’est plus nécessaire d’isoler les particules virales à partir de micro-organismes hôtes pour les identifier : on peut les repérer collectivement grâce au séquençage de l’ensemble des génomes présents dans un même échantillon. Cette technique utilise les prélèvements bruts et permet donc l’identification d’espèces qui ne peuvent pas être isolées et cultivées en laboratoire. C’est ainsi que fut découvert un nouveau membre de la famille des Mimivirus qui infecte non pas des amibes mais des micro-algues du phytoplacton marin. Cafeteria roenbergensis (CroV), puisqu’il s’agit de lui, est un des rares virus de la famille des Megaviridae à infecter une algue plutôt qu’une amibe mais d’autres virus géants ont depuis été identifiés comme parasites des micro-algues et ont été rattachés à la famille de Phycodnaviriae.

Un intrus pas tout à fait géant, le mirusvirus

L’analyse des données de métagénomique issues de la mission Tara océans3 a révélé en 2023, donc très récemment, l’existence d’un groupe majeur de virus abondants dans le plancton de tous les océans et au profil tout à fait original. Ils ont d’ailleurs été baptisés « Mirusvirus », mirus signifiant « étrange ». Qu’ont-ils donc de si mystérieux ? C’est en recherchant de nouveaux virus géants que les chercheurs ont repéré, parmi la masse considérable de données de séquençage, des virus dont la majorité des gènes, comme ceux dirigeant la réplication virale, sont semblables à ceux des virus géants. Pourtant, ils n’ont pas été classés dans cette catégorie. Pourquoi ? les chercheurs ne parvenaient pas à détecter les gènes impliqués dans la formation de la particule virale et quand ils y sont enfin parvenus, il s’est avéré qu’ils étaient semblables à ceux d’un tout autre type de virus, le virus de l’Herpès ! Pour l’heure, impossible de savoir à quoi ressemble ce nouveau venu car aucune image de la particule virale n’a pu être obtenue.

Mirusvirus est donc une chimère entre deux types de virus à ADN aussi énigmatique l’un que l’autre. En effet, si on s’interroge sur l’origine des virus géants, on est tout aussi ignorant sur l’origine évolutive du virus de l’Herpès. Ce virus est très répandu chez les animaux et infecte la moitié de la population humaine mais il est totalement absent de toute autre forme de vie. L’existence des Miruvirus apporte donc une information importante sur l’histoire évolutive du virus de l’herpès. Elle suggère que les ancêtres de ce virus infectaient le plancton marin avant de changer radicalement de tropisme d’hôtes. Lors de cette phase aquatique, les Mirusvirus ont pu résulter d’une recombinaison de gènes entre les formes ancestrales des virus géants et du virus de l’herpès, lors d’épisodes de co-infection du plancton par ces deux types de virus.


Notes

  1. Le professeur Gilichinsky était un éminent scientifique russe spécialisé dans l’étude du pergélisol (ou permafrost en anglais). Il a réalisé d’importantes recherches sur cette formation de sol gelé en permanence, qui couvre une grande partie des régions arctiques et subarctiques de la Terre. L’une de ses principales découvertes concerne la présence dans le pergélisol de bactéries viables dans des échantillons vieux de plusieurs milliers voire millions d’années. Ces bactéries ont survécu grâce au froid extrême et à l’absence d’oxygène et peuvent être réactivées lors du dégel du pergélisol. Il a également démontré l’importance du pergélisol comme réservoir de carbone susceptible de libérer du dioxyde de carbone (CO2) et du méthane (CH4) dans l’atmosphère lors de son dégel et contribuer ainsi au réchauffement climatique. Les recherches du professeur Gilichinsky ont été cruciales pour sensibiliser à l’importance du pergélisol dans le contexte du changement climatique.
  2. Principe de la métagenomique
    La métagénomique consiste à analyser simultanément les génomes de tous les micro-organismes d’un échantillon sans les séparer les uns des autres ni les cultiver en laboratoire. On travaille donc avec le prélèvement brut. Pour l’analyser, on commence par filtrer l’échantillon de façon à sélectionner selon leur taille la catégorie de micro-organisme qu’on souhaite étudier. Ensuite, on extrait les génomes ADN et ARN de ces micro-organismes puis on les fragmente en petits bouts. Ces petits bouts sont ensuite amplifiés selon une technique de polymérisation en chaine (PCR) qui produit ce qu’on appelle des « reads » (lecture) de 50 à 300 paires de bases présents en quantité suffisante pour pouvoir être séquencés. Les séquences obtenues sont comparées à des banques de données et sont ensuite réassemblées bio-informatiquement afin de reconstituer les génomes entiers. Les séquences qui n’ont pas de correspondance dans les bases de données permettent d’identifier de nouveaux micro-organismes
  3. Mission Tara Ocean
    La mission Tara Ocean est une mission océanique internationale qui a eu lieu entre 2009 et 2013. Le bateau a parcouru plus de 140 000 kilomètres à travers tous les océans du globe. L’un des aspects de cette mission consistait à collecter des échantillons de plancton afin d’identifier et de caractériser les différentes espèces de micro-organismes marins, tels que les planctons, les virus et les bactéries.

Image d’en tête : Micrographie électronique colorisée artificiellement de membres des 4 familles connues de virus géants.
© IGS, CNRS-AMU

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