Les modes d’acquisition
POLITIQUE D’ENRICHISSEMENT, MISSIONS DE TERRAIN, LES FOUILLES
Salle Galibert, 1934, Henri Bégouën et l’un de ses fils, photo. attribuée à A. Pujol, elle figure dans Le muséum et ses galeries – coll. muséum, MHNT.PHa.138.B05.12
Politique d’acquisition et modes d’enrichissement
L’enrichissement des collections fait partie des missions fondamentales de tout musée. Selon la loi relative aux musées de France de 2002, toute acquisition, à titre onéreux ou gratuit d’un bien destiné à enrichir les collections d’un musée de France est soumise à l’avis d’instances scientifiques nationales ou régionales composées de spécialistes et professionnels des musées. Les acquisitions du muséum de Toulouse sont soumises pour avis à la Commission Scientifique Régionale pour les Acquisitions (CSRA) de la Région Occitanie. Il existe différents modes d’acquisition pour un musée.
Achats
Certaines collections ou spécimens peuvent être achetés de gré à gré, directement auprès de particuliers, professionnels, ou en ventes publiques. Dans le cas de l’acquisition d’un objet patrimonial, l’établissement peut bénéficier d’une aide financière, accordée par l’État (via les Directions Régionales des Affaires Culturelles) et la Région.
Cession et dévolution
Ce mode d’entrée des collections concerne les dépouilles d’animaux dont la détention est réglementée. Il peut aussi s’agir d’objets saisis par la justice. Ce type d’enrichissement est toujours accompagné par des structures comme l’ONCFS, les Douanes ou la DREAL. En collaborant avec l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage, le muséum a procédé au dépôt de congélateurs dans l’ensemble des services départementaux du Sud-Ouest. Ainsi, les agents de l’ONCFS déposent les dépouilles d’espèces trouvées sur le terrain. Le muséum ne s’autorise aucun prélèvement d’espèce vivante dans le milieu naturel et ne peut, sans autorisation, transporter, préparer et exposer des espèces de la faune sauvage. Une autorisation pluriannuelle est accordée par le ministère de l’Environnement. Les dépouilles, sous conditions, sont parfois utilisées pour la réalisation de naturalisations.
Collectes et fouilles
Des spécimens peuvent être collectés sur le terrain ou dans leur milieu naturel. Il s’agit en particulier de collectes d’ethnologie, de paléontologie ou de préhistoire. De manière plus ponctuelle des collectes ciblées peuvent être effectuée en malacologie, entomologie ou botanique dans le cadre de la réalisation d’inventaire de la biodiversité et dans le respect du code de l’environnement. Ces objets sont préparés et inventoriés afin d’intégrer les collections.
Dation
Plus rare, la dation donne la possibilité d’acquitter certains types d’impôts (droits de succession, droits de mutations dans le cas de donations entre vifs et droits de partage, impôt sur la fortune) en nature, par exemple sous forme d’œuvres d’art ou spécimens à un musée. L’acceptation de la dation revient au ministre de l’Économie et des Finances, sur proposition du ministre intéressé par l’affectation, après avis de la Commission interministérielle d’agrément qui se prononce tant sur l’intérêt artistique et historique des biens que sur leur valeur.
Donation et don manuel
Ce sont des donations manuelles, sans conditions, ni charges, qui après avoir été proposées, peuvent être acceptées par la collectivité dont dépend le musée. Ces dernières années, le don manuel a été une source importante d’enrichissement des collections du muséum de Toulouse, témoignant de l’attachement de personnes privées à l’établissement.
Échange
Ce mode d’enrichissement des collections se pratiquait beaucoup au XIXe et au début du XXe siècle entre institutions muséales, mais aussi parfois avec des collectionneurs privés. Ce mode acquisition n’est aujourd’hui plus pratiqué.
Legs
Une œuvre ou un spécimen entre par legs dans les collections d’un musée à la mort de son propriétaire qui aura pris des dispositions testamentaires fixées par un acte notarié précisant la nature et la dévolution des objets donnés au musée.
Quel que soit le mode d’acquisition tout objet entrant dans le domaine public doit répondre à certains critères avant d’intégrer les collections. Il doit être conforme au projet scientifique et culturel (PSC) qui définit, entre autres, la politique d’enrichissement de l’établissement et être en règle avec la législation nationale et les traités internationaux tels que la convention de Washington ou le protocole de Nagoya.
La politique d’acquisition tient compte des aspects scientifiques, pédagogiques, esthétiques, de la documentation qui accompagne l’objet et de sa cohérence avec les fonds existants du muséum.
La reconnaissance du statut patrimonial de l’objet est soumise à la validation de la CSRA, elle implique son inscription à l’inventaire réglementaire. Toutefois, un objet ne présentant pas de caractère patrimonial peut intégrer les collections d’études ou les collections pédagogiques pour la médiation.
Ces critères de sélection, loin de brider l’enrichissement de notre patrimoine, permettent d’évaluer les priorités en matière d’acquisition.
Le soclage : présenter et sécuriser les objets
La présentation d’un objet au public nécessite souvent de concevoir un socle ou un support de présentation. Cette réalisation peut également s’avérer nécessaire lors de son intégration en réserves si ses spécificités, par exemple une taille hors normes, l’exigent.
Le socle d’un objet doit garantir sa sûreté et participer à sa mise en valeur en favorisant sa bonne lecture. Sa conception est donc soumise à des contraintes scientifique, de conservation et de muséographie.
Il existe différents types de socles et supports utilisés pour les expositions ou le stockage. Au muséum, les socles réalisés pour les expositions sont majoritairement des socles métalliques dits “morphologiques”. Après étude de l’objet et de ses composants, ces socles sont conçus pour épouser au plus près la forme de l’objet tout en respectant sa nature, parfois sensible ou réactive, en adaptant les matériaux utilisés.
Quand celui-ci comprend des zones fragiles, la partie du socle en contact avec le spécimen est recouverte d’une gaine protectrice. Ils doivent également proposer un montage et démontage le plus simple possible afin d’éviter des manipulations excessives qui pourraient mettre l’objet en danger tout en le protégeant contre tout risque de chute ou tentative de vol.
Les collectes de terrain du muséum
À des fins d’inventaire de la faune et de la flore ou d’enrichissement des collections, le muséum de Toulouse organise régulièrement des missions de terrain en botanique, entomologie et ethnographie.
Les collectes botaniques
Au muséum, les collections de botanique sont réparties entre l’Herbarium et la Carpothèque. Ces deux types de collections, des plantes séchées pour l’une, des fruits et des graines secs pour l’autre, sont, en plus des dons, alimentées par des collectes sur le terrain.
Par exemple, dans le cadre de la réalisation de l’Herbier de la flore toulousaine qui comprend toutes les plantes spontanées sur la commune de Toulouse le protocole est le suivant : la plante est cueillie alors qu’elle est en fleurs et dans son plein développement végétatif. Il faut collecter tout ce qui permet de l’identifier : tiges, feuilles, fleurs et parfois fruits et même les racines. Ensuite la plante est préparée, elle est étalée encore fraîche entre deux feuilles de journaux de manière à ce que toutes les parties soient bien visibles. Enfin l’ensemble est mis sous presse au labo pendant au moins 3 mois en changeant les journaux les deux premières semaines pour que ceux-ci ne gardent pas une humidité néfaste à la plante. La plante peut alors être mise en herbier.
Pour la carpothèque le protocole est un peu différent : les fruits sont collectés au stade de maturité final si possible directement sur la plante ou au sol dans le cas d’un arbre.
Cette collecte au sol présente l’inconvénient d’avoir des fruits souvent dégradés ou infestés de parasites. En fonction de la taille et de l’abondance des fruits on en collecte au moins trois par individu de manière à pouvoir par la suite avoir suffisamment de matériel à disposition, à présenter dans le cadre d’une exposition par exemple.
Lors de la collecte il faut faire attention de préserver la morphologie du fruit et une fois rentré au labo, commencer par une désinfection au congélateur pour détruire insectes et champignons qui y seraient contenus. Ensuite les fruits sont mis à sécher au-dessus d’une source de chaleur de manière à éliminer la plus grosse quantité d’eau encore présente. Le spécimen peut alors être conditionné, étiquetté et rangé dans les compactus.
Les collectes entomologiques
Les collections entomologiques du muséum, généralement stockées dans des boîtes entomologiques, englobent tous les arthropodes et présentent un fort intérêt patrimonial, notamment concernant les collections régionales. Elles sont parfois alimentées par des collectes de terrain.
Ces dernières années, entre sept-cents et huit-cents individus ont été collectés sur différents sites à Toulouse, dont les jardins de la Maourine à Borderouge. Différents ordres sont représentés : les hyménoptères, coléoptères, diptères, orthoptères, lépidoptères, odonates… Ces collectes permettent de recenser les espèces présentes sur le territoire. Ces inventaires permettent d’alimenter les bases de données naturalistes, d’avoir une vision globale de la biodiversité toulousaine, de montrer la grande diversité des arthropodes tout en sensibilisant les publics à la préservation du vivant.
Les collectes ethnographiques
En 2003, une convention de l’UNESCO pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel a été adoptée et définit les musées comme les principaux artisans de l’application de cette nouvelle convention. Ce précieux héritage englobe les langues, la littérature orale, l’artisanat,… et se compose de savoir-faire et de connaissances dont le rapprochement avec les objets originaux confère à ces derniers toute leur dimension culturelle.
En ce sens, le muséum de Toulouse a mis en place dès 2010 des missions de terrain au Brésil, travail de collecte de productions matérielles et immatérielles contemporaines auprès de communautés amérindiennes du Brésil central. Ce travail de terrain est mené par le service Conservation et Collections du muséum et repose sur l’enquête ethnographique conduite autour des actions de revalorisation et de sauvegarde patrimoniale développées par six sociétés indigènes d’Amazonie brésilienne : les Iny Karaja, les Api’awa Tapirapé, les Yawalapiti, les Trumai, les Asurini du Xingu et les Mebêngôkre Gorotire (Kayapo).
À travers ce projet, le muséum participe en tant qu’acteur et médiateur au processus de « mise en patrimoine » d’éléments culturels, matériels et immatériels qui devient depuis plusieurs années l’un des moyens par lesquels les groupes amérindiens, englobés dans des entités politiques nationales, recherchent une visibilité et une reconnaissance dans un paysage social et politique global1. Les données collectées sur l’exploitation des ressources naturelles, les objets, récits et enregistrements autour de rituels et savoir-faire précis (rites de passage, funérailles, cures chamaniques, relation à l’au-delà, etc.) sont collectés pour constituer de nouveaux ensembles cohérents et permettent également de documenter les collections déjà conservées à Toulouse. Développer cette collaboration autour de la patrimonialisation des cultures amérindiennes a par conséquent permis de réinterroger nos collections anciennes, nos pratiques et de participer activement à la réflexion sur la constitution du patrimoine de demain en collaboration avec les experts des minorités.
Le Muséum devient ainsi le dépositaire et le passeur de ces patrimoines menacés, tant matériels qu’immatériels à travers la sauvegarde, la conservation et la valorisation d’un patrimoine vivant. On peut en effet considérer comme faisant partie des missions des muséums d’ancrer le travail de documentation et d’enrichissement des collections dans une réalité actuelle et contemporaine et de faire partager au public, de façon directe, les manières singulières de lien à leur environnement développées par les populations amérindiennes, à travers le tournage de films, l’enregistrement d’histoires anciennes, la fabrication d’objets, etc. À travers ce travail de collecte de terrain nous est apparue la variété de stratégies, réponses, résistances et résiliences des sociétés amérindiennes face aux changements culturels. La mise en place de cette collaboration directe avec les communautés de l’Amazonie brésilienne et les échanges durables qui en découlent nous ont permis de sortir d’une logique marchande et de cesser d’alimenter les spéculations dont les objets dits d’art premier font l’objet sur le marché de l’art. Ce projet a donc permis d’expérimenter et de développer une nouvelle méthode responsable d’enrichissement des collections, d’avoir une réflexion commune sur la patrimonialisation des cultures.
Les fouilles du muséum
Dès l’ouverture de l’établissement, sous la direction d’Édouard Filhol, une politique de fouilles est mise en place et plus particulièrement en préhistoire, grâce aux nombreuses grottes de la région ou aux sites mégalithiques qui vont attirer de nombreux scientifiques. Le muséum de Toulouse sera même le premier à ouvrir une galerie de Préhistoire. Parmi les nombreux sites fouillés, citons par exemple la grotte de L’Herm, l’une des plus prolifiques et dont la quantité phénoménale de matériel sorti a permis de nombreux échanges avec particuliers et institutions de par le monde durant de nombreuses années.
À l’heure actuelle, bien que les produits de fouilles ne représentent qu’un faible volume des acquisitions annuelles, l’établissement participe ponctuellement à des fouilles de sauvetage et à des chantiers programmés.
Des fouilles de sauvetage ont par exemple été organisées lors de travaux d’élargissement d’un virage de la RN112 près de Réalmont en 1997. Elles ont fourni un crâne de Lophiodon ainsi que des restes de crocodiles. Lors de la construction du métro toulousain en 2002 une faune oligo-miocène a été mise à jour avec notamment une carapace de tortue Ergilemys et des restes de rhinocéros.
Depuis 2015, le Muséum d’Histoire Naturelle de Toulouse organise avec le professeur David Begun de l’Université de Toronto des fouilles sur le gisement historique du Dryopithèque (Dryopithecus fontani qui est la première espèce de grand singe fossile décrite en 1856), côte de Valentine à Saint-Gaudens.
Plus récemment, en 2017, une fouille de sauvetage a eu lieu sur la commune de Montesquieu-Guittaut en Haute-Garonne en vue d’extraire un crâne fossile proche du Mastodon pyrenaicus, espèce énigmatique créée par Édouard Lartet en 1857 sur la base de quatre molaires découvertes à l’époque sur la commune voisine de Saint-Frajou. Avant l’extraction de ce crâne en septembre dernier, aucun autre reste évoquant les découvertes de Lartet n’avait alors été signalé depuis plus de cent soixante ans.
Un chantier de fouilles paléontologiques est programmé annuellement à Montréal-du-Gers. La faune trouvée comprend de nombreuses espèces qui vivaient dans la région il y a 17 millions d’années, avec notamment cinq espèces de rhinocéros.
Trente ans après sa découverte en 1987, le site paléontologique de Montréal-du-Gers, propriété de la ville de Toulouse depuis 1997, continue de livrer l’une des plus importante faune de vertébrés miocènes d’Europe.
Références
- « Pourquoi filmer sa culture ? Rituel et patrimonialisation en Amazonie brésilienne », Chloé Nahum-Claudel, Nathalie Petesh, Cédric Yvinec, Journal de la Société des Américanistes, 2017, 103-2