Frédéric Chopin et Michael Jackson : victimes de la même maladie ?
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Article rédigé parSERGE ERLINGER, Médecin, professeur honoraire des Universités, ancien directeur de laboratoire INSERM DOMINIQUE MORELLO, Chercheuse en biologie moléculaire, Directrice de Recherche au CNRS, retraitée. Membre de l’association Femmes & Sciences
Depuis la première lecture du génome humain au début des années 2 000, les progrès continus du séquençage de l’ADN permettent d’utiliser cette technique pour retracer notre histoire, étudier la biodiversité, suivre des épidémies, ou partir à la recherche de criminels. La génétique est devenue un outil incontournable. Quelques micro-traces d’ADN prélevées sur un défunt sont suffisantes pour nous renseigner sur les maladies dont il souffrait et les causes probables de sa mort. Ce récit s’inscrit dans une série de onze articles « De Beethoven à la Star’Ac : une enquête génétique et médicale », décrivant une dizaine de personnages illustres, morts ou encore vivants, chanteur, actrice, musicien, sportif, réalisatrice…, tous atteints d’une maladie héréditaire. Leurs maux sont décortiqués à l’aune de l’analyse de leur génome et des avancées médicales récentes.
Frédéric Chopin ne serait pas mort de tuberculose mais d’une affection inconnue à son époque, le déficit en alpha-1 antitrypsine (AAT). En attendant confirmation de cette hypothèse par l’étude de son génome, penchons-nous sur ses symptômes et sur son arbre généalogique.
Après avoir composé des centaines de pièces parmi les plus célèbres de la musique romantique, après avoir vécu une relation tumultueuse avec George Sand, Frédéric Chopin meurt dans la nuit du 17 octobre 1849. Ouvrez une biographie du compositeur (il en existe de nombreuses et excellentes), vous lirez immanquablement qu’il est mort de tuberculose pulmonaire. Est-ce aussi simple ?
Une santé délicate
Portrait de Frédéric Chopin. Détail de la peinture d’Eugène Delacroix conservée au Louvre. Domaine public
Examinons de près l’histoire médicale de notre patient. C’est d’abord un enfant à la santé délicate, se fatiguant vite, évitant toute forme d’activité physique. Dès l’adolescence, il souffre d’épisodes répétés de toux, d’expectorations (crachats), de fièvre, de maux de tête, accompagnés souvent de crachements de sang. Le premier de ces accès survient en 1826, il a à peine 16 ans. Selon ce que rapporteront plus tard son ami Franz Liszt et sa future compagne George Sand, cette crise dure environ 6 mois et s’arrête spontanément, sans traitement particulie1. Des épisodes similaires surviennent par la suite, d’abord à Vienne en 1830, puis de nouveau en 1835 lorsqu’il revient à Paris après une visite à ses parents à Carlsbad, en Allemagne. Ce dernier épisode dure deux mois. Dès lors, ces symptômes reviennent presque chaque hiver. Les médecins évoquent une grippe… mais le tableau n’est pas aussi simple et se complique quand, à l’hiver 1837, un vomissement de sang (hématémèse) survient.
A l’automne 1838, alors qu’il séjourne à Majorque avec George Sand, une nouvelle attaque sévère accompagnée de crachements de sang se produit. Le couple décide de rentrer en France pour bénéficier du climat plus ensoleillé de la Provence. Chopin en profite pour consulter à Marseille le docteur Cauvière (1780-1858). Ce médecin très réputé exclut formellement le diagnostic de tuberculose et parle de « poumons irrités ». Peu après, George Sand écrit « Dieu merci, à peine avait-il respiré le bon air de Provence qu’il ressuscita sous nos yeux. Il est parfaitement bien, a pris du poids et ne tousse quasiment plus ». Cette amélioration spontanée est effectivement difficilement compatible avec le diagnostic d’une tuberculose.
Portrait de George Sand par Nadar. Crédit : Archives départementales de l’Indre , fonds Joseph Thibault, 48 J 11B 5
Des médecins célèbres à son chevet
A l’été 1842, il consulte le médecin de famille de George Sand, le docteur Papet (1812-1892). Il confirme une absence de tuberculose et évoque des mucosités d’origine bronchique. Mais Chopin, de plus en plus essoufflé, demande l’avis d’un des plus grands médecins de son temps, le professeur Laënnec (1781-1826) (inventeur de l’auscultation et spécialiste des poumons, lire l’article Beethoven, une enquête génétique tirée par les cheveux). Laënnec est perplexe et ne formule pas de diagnostic précis. Après une nouvelle crise violente en juin 1849, les amis de Chopin appellent le professeur Cruveilhier (1791-1874), autre célébrité qui a soigné Talleyrand, Chateaubriand, Vigny, … Pour lui, Chopin est atteint d’une tuberculose pulmonaire, sans espoir de guérison. Et sur ce point il a raison : Chopin décède quelques mois plus tard, non sans avoir obtenu la promesse d’une autopsie, obsédé par la crainte d’être enterré vivant. Cette autopsie est effectuée par Cruveilhier lui-même. Le certificat de décès indique « tuberculose des poumons et du larynx ». Mais, selon la sœur aînée de Chopin Ludwika Jedrzejewicz et plusieurs autres témoins, Cruveilhier, dont le compte-rendu a malheureusement été perdu, admet qu’il n’a pas pu déterminer précisément la cause du décès, le compositeur souffrant d’une affection qu’il ne connaissait pas2.
L’hypothèse de la tuberculose pulmonaire semble donc très peu probable, d’autant que la durée de la maladie, au moins 25 ans, et les longues périodes de rémission, vont à l’encontre d’un tel diagnostic. Les spécialistes nous font aussi remarquer que lorsqu’elle dure, la tuberculose pulmonaire chronique est très souvent associée à une anomalie des doigts, l’hippocratisme digital, une déformation aisément reconnaissable de l’extrémité des doigts et des ongles. Or cette déformation est absente des mains du compositeur, comme on le voit sur le moulage exécuté après son décès (figure 2).
Venons en aide à Cruveilhier et examinons l’histoire médicale de la famille Chopin. Frédéric (à l’origine Fryderyk) a trois sœurs : Ludwika, née en 1807, Isabela, née en 1811 et Emilia, née en 1812. Leur père Nicolas (1771-1844), né en Lorraine et émigré en Pologne en 1787, est la cible toute sa vie d’infections respiratoires à répétition, comme sa fille aînée Ludwicka, morte à 47 ans. Emilia, la plus jeune des sœurs, souffre dès sa plus tendre enfance de toux, de sifflements respiratoires et d’essoufflement. Elle meurt à 14 ans d’un vomissement de sang massif.
Figure 3
L’examen de cet arbre généalogique (figure 3) suggère fortement une affection héréditaire car le père, Nicolas, et trois de ses quatre enfants (Ludwika, Frédéric et Emilia) semblent avoir souffert de la même maladie, à des degrés variables. Une possibilité, toujours défendue par certains auteurs, serait la mucoviscidose3. Cette affection héréditaire pourrait expliquer les symptômes respiratoires et aussi les vomissements de sang, car elle conduit, rarement il est vrai, à une maladie du foie qui peut occasionner des hémorragies de l’appareil digestif. Mais cette hypothèse paraît toutefois très peu probable car au XIXème siècle, avant les traitements dont nous disposons aujourd’hui, l’espérance de vie des patients atteints de mucoviscidose ne dépassait quasiment jamais 20 ans.
Une maladie inconnue à l’époque
Portrait de Chopin par Pauline Viardot, réalisé en 1844, cinq ans avant le décès du compositeur. On peut remarquer sa maigreur, sa poitrine très large par rapport au reste du corps, ses membres minces, traits fréquemment observés chez les personnes atteintes d’emphysème pulmonaire. Domaine public
Mais alors, de quoi Chopin était-il atteint ? A ce stade, nous privilégions l’hypothèse d’un déficit en AAT, une maladie héréditaire décrite en 1963 qui pourrait expliquer la totalité de l’histoire médicale de Chopin et de sa famille (voir encadré : le déficit en AAT, une hérédité codominante). De quoi s’agit-il ? L’AAT est une protéine essentielle car une de ses principales fonctions est de protéger notre muqueuse respiratoire de l’action destructrice d’enzymes appelées « protéases ». En absence d’AAT, elles attaquent les poumons, aboutissant à différentes lésions, comme l’emphysème, la dilatation des bronches, la bronchite chronique et des infections broncho-pulmonaires répétées. La maladie peut également s’accompagner de crachements de sang dus à l’irritation des bronches et de vomissements de sang dus à une cirrhose associée aux manifestations pulmonaires. Une caricature de Chopin réalisée par son amie la chanteuse Pauline Viardot (1821-1910) en 1844, le montre amaigri, la poitrine élargie et les membres extrêmement minces (figure 4), un aspect très évocateur d’emphysème.
Ainsi, le déficit en AAT expliquerait parfaitement les infections respiratoires à répétition dont Chopin a souffert toute sa vie (infections qui guérissent souvent sans traitement particulier autre que le repos), son emphysème et les vomissements de sang. On peut aussi supposer que sa pauvre tolérance à l’exercice physique et sa difficulté à prendre du poids résulteraient de cette maladie. Enfin, comme plusieurs arguments militent pour un rôle de l’AAT dans la régulation de la fertilité, certains auteurs vont même jusqu’à mettre sur le compte de ce déficit sa possible infertilité : malgré plusieurs partenaires et sa longue liaison avec George Sand, il n’a jamais eu d’enfants.
Notre hypothèse expliquerait également les symptômes de Nicolas, le père de Frédéric, de sa sœur Ludwika et le décès de sa jeune sœur Emilia, morte à 14 ans d’un vomissement massif de sang, très évocateur d’une cirrhose.
Toutefois, la preuve définitive de ce diagnostic repose sur une analyse détaillée de l’ADN de Chopin. Encore faut-il posséder un organe à partir duquel cette précieuse molécule puisse être extraite. Et la chance est de notre côté puisque, suivant les dernières volontés de Chopin, son cœur a été prélevé lors de son autopsie. Il repose dans un pilier de l’église Sainte-Croix à Varsovie. Pour l’heure, ses ayants droits et le gouvernement polonais refusent l’ouverture du flacon, ce qui compromet l’analyse génétique. Mais un espoir subsiste car un collectionneur que nous avons déjà rencontré dans la nouvelle concernant Beethoven, M. John Reznikoff, prétend détenir une mèche de cheveux de Frédéric Chopin. Telle la chouette d’Or, l’énigme de la maladie de notre compositeur pourrait peut-être trouver prochainement son dénouement…
Et Michael Jackson dans tout ça ?
Cent-cinquante ans après la mort de Chopin, le 25 juin 2009, une autre étoile de la musique s’éteint : Michael Jackson. En décembre 2008, on peut lire dans la presse américaine que le roi de la pop serait atteint d’un déficit en AAT et qu’il ne lui resterait que quelques mois à vivre.4 La même information figure dans une biographie publiée quelques mois après sa mort.5 En réalité, beaucoup d’arguments militent contre cette hypothèse. Michael avait huit frères et sœurs et aucun n’est connu pour avoir, ou avoir eu, des problèmes respiratoires. En outre, le chanteur a déployé tout au long de sa carrière débutée à l’âge de 11 ans une énergie considérable, peu compatible avec une affection respiratoire chronique. Enfin le rapport d’autopsie ne mentionne aucune anomalie des poumons ou du foie, les deux principaux organes touchés par la maladie.6 Dans son cas, nous n’aurons peut-être pas besoin de faire appel à M. Reznikoff !
Portrait de Michael Jackson à la ferme de Knott’s Berry, Avril 1984.
Orange County Archives from Orange County, California, United States of America
Références
Kubba AK, et al. The long suffering of Frederic Chopin. Chest 113;210-6, 1998
Hedley A. Selected correspondence of Chopin. London: Heinemann, 1962. p. 73—4. (Cité par Reuben A. Chopin’s serpin. Hepatology 37;485-488, 2003)
O’Shea J. Was Frédéric Chopin’s illness actually cystic fibrosis? Med J Australia 147:586-589,1987
Lyon L. Michael Jackson, health rumors, and alpha1-AT deficiency. US News & World Report, 23 décembre 2008
Halperin I. Unmasked: the final years of Michael Jackson. New York: Simon & Schuster Adult Publishing Company; 2009
http://www.thesmokinggun.com/archive/years/2010/ 0208101jackson1.html (Page consultée le 15 novembre 2023)
Le déficit en alpha1-antitrypsine : une hérédité codominante(retour à l’article)
La transmission d’une maladie génétique peut se faire selon plusieurs modalités. Elle est dite dominante lorsqu’il suffit qu’un des deux allèles du gène (hérité du père ou de la mère) soit muté pour provoquer la maladie. La transmission est dite récessive lorsque les deux allèles doivent être mutés pour que la maladie se déclare. Dans le cas du déficit en AAT, les personnes malades ont en général deux allèles mutés. On pourrait donc penser à une transmission récessive. Cependant chez certains patients, un seul allèle muté est suffisant pour provoquer la maladie, comme pour une transmission dominante. C’est pourquoi, lorsque les deux allèles sont mutés, on qualifie cette transmission de codominante, chaque allèle muté se comportant comme un allèle dominant 1.
En vert : personnes normales, en rouge personnes gravement malades, en jaune et orange personnes intermédiaires, moins gravement malades.
Le gène de l’AAT, appelé SERPINA1, appartient à la superfamille des Serpines. Il est localisé sur le bras long du chromosome 14. Les allèles normaux du gène sont désignés par la lettre M. Les deux principaux allèles mutés susceptibles de provoquer la maladie sont désignés par les lettres S et Z (voir schéma). Les personnes atteintes ont hérité soit d’un seul allèle muté, S ou Z, de leur père ou de leur mère, soit de deux allèles mutés, un hérité de chacun de leurs parents. Une personne ayant hérité de deux allèles Z (génotype ZZ) a le plus souvent une maladie sévère. Une personne ayant hérité d’un allèle S et d’un allèle Z (ZS) ou de deux allèles S (SS) a une maladie moins sévère. Une personne hétérozygote qui n’a qu’un allèle muté, par exemple MS ou MZ, a une maladie encore moins sévère (voir schéma). Ce mode de transmission explique pourquoi l’expression de la maladie peut être si différente d’un individu à l’autre dans une même famille.
La fréquence du phénotype ZZ en Europe occidentale est de l’ordre de 1 pour 1000, tandis que le nombre de porteurs hétérozygotes (MS + MZ) est de l’ordre de 4% de la population. La mutation Z est apparue il y a quelques 107 à 228 générations1,2, soit entre 2 500 et 6 500 ans. Elle s’est manifestée initialement chez les Vikings qui l’auraient répandue dans le reste du monde. La fréquence de l’allèle Z dans la population suit un gradient nord-ouest sud-est, avec une origine probable dans le sud de la Scandinavie. La distribution de l’allèle S est très différente, avec une fréquence maximale dans la péninsule ibérique et une origine probable dans cette région.
Références
Cox DW, et al. DNA restriction fragments associated with alpha 1-antitrypsin indicate a single origin for deficiency allele PiZ. Nature 316, 79-81, 1985
Seixas S, et al. Patterns of haplotype diversity within the serpin gene cluster at 14q32.1: insights into the natural history of the alpha 1-antitrypsin polymorphism. Human Genetics 108, 20-23, 2001
Image d’en tête : Mickaël Jackson, Los Angeles Times, CC BY 4.0 Larry Davis. Portrait de Frédéric Chopin (daguerréotype de Louis-Auguste Bisson de 1847). Louis-Auguste Bisson, domaine public. Double hélice ADN CC BY-SA 4.0 Joseluissc3. Ces trois images proviennent de Wikimedia.
Série : De Beethoven à la Star’Ac : une enquête génétique et médicale
Frédéric Chopin ne serait pas mort de tuberculose mais d’une affection inconnue à son époque, le déficit en alpha-1 antitrypsine (AAT). En attendant confirmation de cette hypothèse par l’étude de son génome, penchons-nous sur ses symptômes et sur son arbre généalogique.
Dans cet épisode, nous rencontrons Ötzi, le légendaire homme des glaces, âgé de 5 300 ans. Cette découverte exceptionnelle a ouvert de nouveaux champs d’investigation scientifique comme la toute première description d’un génome ancien d’une momie.