Coronavirus, la guerre des chiffres : du confinement au dé-confinement, qu’a-t-on appris ?
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Article rédigé le 3 Juin 2020 par
DOMINIQUE MORELLO, Biologiste retraitée, CNRS et
HENRI CAP, Biologiste et zoologue au Muséum de Toulouse
Le virus SARS-CoV-2 s’est répandu très rapidement sur notre planète depuis la fin de l’année 2019. Responsable des symptômes associés à la maladie appelée Covid-19, ce virus a complètement bouleversé nos vies et la plupart de nos sociétés. A l’heure du dé-confinement, et malgré les efforts déployés pour sauver des vies en limitant la propagation du virus, la connaissance que nous en avons reste encore partielle. Il subsiste notamment de nombreuses incertitudes concernant son comportement, les moyens de le traiter et son origine. Après avoir mené une première enquête avant le début de la pandémie en France, le Muséum d’Histoire Naturelle de Toulouse fait dans cet article un nouveau point sur sa propagation, les tests et les traitements, et poursuivra, dans son article « Coronavirus, la nature contre-attaque ? », son investigation sur les origines du SARS-CoV-2.
Nombre de cas de Covid-19 confirmés dans le monde le 2 Juin 2020. Ce nombre est inférieur au nombre réel du fait des tests limités dans la plupart des pays. (Source : Johns Hopkins University Center for Systems Science and Engineering)
Données épidémiologiques
Bilan mondial du nombre de décès et comparaison avec d’autres épidémies
Au 30 Mai 2020, près de 6 millions de personnes ont été infectées (cas confirmés) dans le monde par le SARS-CoV-2 avec près de 365 000 décès (source : carte de l’Université John Hopkins/New York ). Le taux de létalité du Covid (nombre de personnes décédées parmi les personnes atteintes par la maladie) est donc mondialement de 6,2 %. Cependant, ce taux ne tient pas compte des personnes infectées non testées et varie entre les pays, selon l’étendue des tests effectués pour détecter les malades, le type de populations testées, le système de soin et la mise en œuvre de traçage et d’isolement des malades ou de la population. En France ce taux est désormais inférieur à 1% depuis le mois de Mai suite au confinement (Roques et al. 2020). Rapporter le nombre de décès à la taille de la population permet d’établir une comparaison significative entre les pays. Au 30 mai, c’est la Belgique qui détient le triste record avec plus de 813 décès pour 1 million d’habitants ; l’Espagne, le Royaume-Uni et l’Italie ont des valeurs très proches (580-550) et la France se situe en 5e position avec 440 décès, (cf tableau ci-dessous).
Si l’on compare ces chiffres officiels mais encore provisoires avec ceux d’autres épidémies passées, sans confinement, ou plus récentes, telles celles provoquées par des virus grippaux, on constate que le Covid-19 est moins mortel que la grippe espagnole due au virus H1N1 qui a tué 20 à 100 millions de personnes entre 1918 à 1920 ou que la grippe asiatique de 1957 et 1958 (virus H2N2) ou encore, entre 1968 et 1969, la grippe de Hong Kong (H3N2), ces deux dernières ayant chacune entrainé plus d’un million de morts (chiffres de l’OMS), avec un taux de létalité, inférieur à 0,2%, bien plus faible que celui du Covid-19. Plus proche de nous, la grippe aviaire (H5N1) apparait en Asie en 1997, mais elle n’a fait que très peu de victimes humaines car la transmission inter humaine est restée exceptionnelle. En 2003, l’épidémie du SRAS (Syndrome Respiratoire Aigu Sévère) occasionnée par un premier coronavirus, le SARS-CoV-1, aurait fait moins de 800 morts, principalement en Chine, avec un taux de létalité de 9,8%. En 2009, une nouvelle souche de grippe A (H1N1) fait son apparition avec plusieurs centaines de milliers de morts dans le monde du fait de sa contagiosité élevée. En 2012, l’émergence du MERS (Syndrôme respiratoire du Moyen-Orient) dans les pays du Golfe lié à un deuxième coronavirus, le MERS-CoV, concerne un nombre de cas assez faible (moins de 2000) mais son taux de létalité est élevé (34%), cependant bien moindre que celui causé par le virus Ebola (en moyenne > 50% ). Les grippes saisonnières (H1N1 et H3N2) occasionnent chaque année dans le monde de 300 000 à 650 000 morts, avec un taux de létalité inférieur à 0,1% selon l’OMS. Elles touchent principalement les personnes fragiles (jeunes enfants, personnes âgées ou déjà malades). En France, la grippe tue en moyenne 10 000 personnes par an. Certes, c’est beaucoup moins que les 28 700 morts imputées au Covid-19 le 30 mai en France, mais c’est très peu en comparaison des 38 millions de personnes porteuses du virus du SIDA (VIH) en 2018, dont 770 000 sont mortes (Onusida, 2018), ou des 220 millions d’êtres humains victimes de la malaria (paludisme), dont près de 435 000, essentiellement des enfants, sont morts en 2017, selon l’OMS.
Très contagieuse oui, mais…
Le problème majeur de la pandémie actuelle vient d’abord du fort taux de contagiosité du Covid-19. En effet son taux de reproduction de base (R0), qui correspond au nombre moyen d’individus qui sont infectés par une personne contagieuse, est situé au-dessus de 3 (Roques et al. 2020). Ce taux, qui n’a cependant rien à voir avec celui de la rougeole (R0 > 12) dont les ravages sont en partie évités par la vaccination, est toutefois bien supérieur à celui des autres formes de grippes (compris entre 1 et 2), mais aussi à celui du coronavirus, MERS-CoV (R0 < 1). Toutefois, il est assez comparable à celui du SARS-CoV-1 (entre 2 et 3), qui a pourtant fait relativement peu de victimes, avec moins de 800 morts recensées.
Contagion asymptomatique
Une des explications de cette différence entre la létalité de ces deux virus aux R0 assez comparable, tient en partie au fait que la transmission du Covid-19 peut se faire par des personnes asymptomatiques (sans symptômes) ou qui n’ont pas encore développé de symptômes (présymptomatiques). Cette transmission durant la phase d’incubation rend beaucoup plus difficile le suivi de l’épidémie, la reconstitution de la chaîne de transmission et l’isolement des personnes contagieuses. D’après l’OMS, le temps moyen d’incubation au cours duquel le virus se multiplie dans l’organisme, serait de 5 jours, mais cette durée varie grandement entre individus allant de 2 à plus de 20 jours. La transmission durant l’incubation avant l’apparition de symptômes a été prouvée. Elle peut s’opérer par l’excrétion de virus au moyen de gouttelettes expulsées par la bouche et le nez. La contamination via la matière fécale est également fortement suspectée, de même que la survie du virus dans les égouts. Cependant les virus ne résistent pas aux traitements de potabilisation (chlore, UV, ozone) a indiqué la Fédération des Entreprises de l’Eau. La durée de vie du virus en dehors du corps humain est d’ailleurs sujet à débat, puisqu’il est sensible comme tous les autres virus aux UV du soleil et à la chaleur à partir de 30°C, sa survie dans l’air sec est de 2 à 3 heures. Dans les endroits clos, humides, dans l’eau profonde ou sans lumière naturelle, sur les surfaces lisses comme le plastique, et à dans des températures inférieures à 20°C, le virus peut survivre plusieurs jours. Le savon, l’alcool et les UV le détruisent.
Crise programmée
A ces deux facteurs épidémiologiques (R0 élevé et contagiosité « silencieuse »), inhérents aux capacités de transmission de ce nouveau virus, vient s’ajouter un problème de santé publique avec la saturation des services d’urgences des hôpitaux, le manque de lits en service de réanimation et de personnels, ainsi que beaucoup d’autres impréparations communes à de nombreux pays.
Bilan épidémiologique de l’infection pour la France
Selon une étude réalisée à l’aide de modélisations mathématiques et statistiques par l’Institut Pasteur en collaboration avec l’agence sanitaire Santé publique France et l’Inserm, à la date du dé-confinement, le 11 mai, 5,7% de la population française aurait été infectée par le SARS-CoV-2. Cependant, de fortes variations interrégionales sont observées, par exemple 11% dans le grand-est et 12% en région parisienne, 6,1% pour les Hauts de France, 3,1 % pour l’Occitanie et seulement 1,4% pour la Nouvelle Aquitaine (voir infographie dans Le Monde).
Symptômes, risques, prévention et tests
Symptômes
Les premiers symptômes du Covid-19 apparaissent avant 11 jours d’incubation chez plus de 97% des malades. Suivant les individus, ces symptômes peuvent prendre des formes très diverses : dans 80% des cas, les porteurs du virus ne manifestent pas (asymptomatiques) ou peu de symptômes, la fièvre n’étant pas toujours présente. Lorsqu’ils sont présents, les symptômes sont variables et peuvent se cumuler (fièvre, toux, fatigue, douleur thoracique et abdominale, angine, brûlure d’estomac, diarrhée, inflammation des vaisseaux sanguins et cardiaque, atteinte du système nerveux, avec parfois perte du goût (agueusie), et de l’odorat (anosmie). Dans15% des cas, il apparaît des formes plus sévères, essentiellement respiratoires, et une forme critique (détresse respiratoire) dans 5% des cas, dont près de la moitié décède. Ce qui différencie ces symptômes du Covid-19 de ceux de la grippe tient dans leur apparition progressive, leur disparition et leur réapparition, mais aussi et surtout, dans leur très grande diversité. Avec du recul, on note aussi une persistance chez environ 5 % des personnes ayant développé une forme bénigne de la maladie, de maux, parfois invalidants, plusieurs semaines après l’apparition des premiers symptômes. Le corps médical reste pour l’instant sans explication.
Décès
Trois causes principales de décès ont été observées dans les formes critiques de la maladie.
La première est liée à une co-infection secondaire majoritairement bactérienne dans 50% des cas ;
la seconde provient directement d’une détresse respiratoire aiguë dans plus de 30% des cas,
et la troisième résulte d’une réaction immunitaire exagérée ou tempête de cytokines dans près de 20% des cas (Zou et al. 2020).
Facteurs de risques
Selon une étude menée en Angleterre sur plus de 17 millions d’adultes (>18 ans), dont 5680 sont morts à l’hôpital du Covid-19, le principal facteur de risque est l’âge (projet OpenSafelymis en ligne le 7 mai (résumé et infographie dans Le Monde) . Les personnes de plus de 80 ans ont en effet un risque 12 fois plus important de mourir du Covid-19 que celles de la tranche d’âge 50-59 ans pris comme référence (voir figure). Les hommes sont aussi deux fois plus touchés que les femmes (tous âges confondus). D’autres facteurs interviennent également : la charge pondérale, l’origine ethnique, et le fait d’être porteur ou non d’une maladie telle que maladies cardio-vasculaires, diabète, maladies respiratoires, cancers, …Ces données corroborent plusieurs études précédentes effectuées dans d’autres pays (Chine, France, Italie…).
En France, 73% des cas admis en réanimation et 58% des personnes décédées sont des hommes, selon Santé Publique France, ce dernier chiffre atteignant 70% en Italie. Si le nombre de malades est égal entre les sexes, les femmes survivent mieux à la maladie, sans que l’on sache vraiment pourquoi. Plusieurs hypothèses impliquant la relation entre récepteur au virus sur nos cellules (AEC2, voir plus loin) et hormones sexuelles sont en cours d’étude ; elles sembleraient indiquer que les hommes possèdent au niveau de la membrane de leurs cellules alvéolaires, cibles privilégiées des coronavirus humains, davantage de récepteurs androgènes qui s’activent en présence d’hormone masculine (dérivée de la testostérone) conjointement à d’autres récepteurs transmembranaires, tels que la sérine protéase (TMPRSS2), qui participe à la pénétration d’autres virus comme celui de la grippe ou le SARS CoV-1 (Hoffman et al. 2020). En dépit du fait que les enfants les plus jeunes et les plus sensibles ont montré une augmentation des cas de maladie de Kawasaki, l’immense majorité des enfants sont épargnés partout dans le monde, contrairement à ce qui est observé avec le virus de la grippe. Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer cela, comme un système immunitaire immature, incompatible avec une tempête cytokinique (voir plus bas), une vaccination récente et la rencontre avec d’autres coronavirus responsables de rhumes. Ces deux dernières stimuleraient leur système immunitaire inné, limitant la réplication du virus et les co-infections. Du fait de l’immaturité de leurs récepteurs membranaires (ACE2), le virus pénètrerait peu dans leurs cellules. Enfin, l’absence de détresse respiratoire chez les enfants pourrait être liée à la persistance dans leur sang de l’hémoglobine fœtale transportant plus d’oxygène que l’hémoglobine adulte (Rawat et al. 2020)
Globalement, outre l’âge, ce sont surtout la pauvreté, le système de soin local, la pollution, la densité de population et l’existence de foyers épidémiques qui s’avèrent être les facteurs les plus aggravants, comme dans n’importe quelle autre maladie contagieuse.
Prévention
Des mesures sanitaires variables suivant les états ont été déployées pour endiguer l’épidémie : port du masque, distanciation physique, fermeture des écoles et des lieux publics, isolement des malades, confinement de la population pour réduire le R0 et désengorger les services de réanimation rapidement saturés. Le confinement général choisi par la France (du 17 Mars au 11 Mai) a permis de sauver près de 60 000 vies (modélisation de Santé Publique France). Le « revers de la médaille » est que ces mesures retardent d’autant l’acquisition d’une immunité de groupe (ou immunité collective) pour l’ensemble de la population, fixée autour de 70%. C’est le seuil à partir duquel l’épidémie s’arrête, faute de nouveaux hôtes non immunisés permettant au virus de se multiplier. Le pari de l’immunité collective, bien que risqué, a été choisi par plusieurs pays en Europe au début de l’épidémie. La Suède l’a maintenu, en ne confinant que les personnes très âgées et à risque, et en laissant les écoles ouvertes pour éviter de faire garder les enfants par leurs grands-parents. Le nombre de décès imputables au Covid-19 pour 100 000 habitants en Suède est identique (43) à celui de la France (43), mais bien supérieur à celui des autres pays scandinaves (Danemark : 10, Finlande 5, Norvège 4) selon les chiffres de l’université John Hopkins de New-York au 1er Juin. Il est encore trop tôt pour savoir si la stratégie suédoise permettra effectivement de protéger un maximum d’individus d’une éventuelle réinfection.
Outre le nécessaire recul, plusieurs questions restent encore sans réponse.
Par exemple, le seuil des 70% de personnes contaminées n’est-il pas surestimé ?
quelle est la durée de l’immunité ?
L’immunité vis-à-vis d’autres pathogènes (incluant d’autres coronavirus) peut-elle prévenir d’une infection au SARS-CoV-2 (immunité croisée) ?
Une nouvelle épidémie due au SARS-CoV-2 pourrait-elle survenir de nouveau de manière saisonnière à l’instar de la grippe ? et si oui, quand ?
Tests
Pour répondre en partie à ces questions, il est indispensable de posséder des tests fiables et spécifiques qui permettent de dire si une personne est ou a été infectée. Il existe deux catégories de tests, les tests virologiques et les tests sérologiques. Les premiers ont été utilisés surtout en Asie avec succès au début de l’épidémie. Ils reposent sur la détection du patrimoine génétique du virus (l’ARN, spirale jaune dans le schéma) à partir d’un prélèvement nasal, oral ou pharyngé, en utilisant la technique d’amplification (PCR). Ils permettent de savoir si à un instant t, une personne est infectée. Ce type de test est maintenant couramment pratiqué en France. Le 25 mai, 423 330 tests avaient été réalisés et près de 10% (40 092) des personnes testées étaient positives.
Schéma montrant un virus « en coupe » avec au centre l’ARN (spirale jaune) et les protéines, dont la protéine S (Spicule) à la membrane et la Nucléoprotéine (N), autour de l’ARN. Crédit : Olivier Schwartz.
Les tests sérologiques, eux, visent à détecter des anticorps dirigés contre une des protéines virales du SARS-CoCV-2. Ils permettent de savoir a posteriori si une personne a été infectée. Au démarrage de la pandémie, il n’y avait pas de tests disponibles spécifiques. Depuis, de nombreux laboratoires se sont lancés dans la course, mais plusieurs tests commercialisés se sont révélés peu fiables (70% de fiabilité) ou peu sensibles. Le laboratoire d’Olivier Schwartz, directeur de l’Unité Virus et Immunité – Institut Pasteur et plusieurs équipes de l’Institut Pasteur ont développé différents types de tests (test d’anticorps, test de neutralisation), (voir vidéo : ) qui reconnaissent spécifiquement des protéines du SARS-CoV-2 (majoritairement la protéine de spicule S (pour Spike) à la surface du virus et la protéine N, la nucléoprotéine, proche de l’ARN, cf schéma.) et pas celles d’autres coronavirus (7 virus différents, voir article 2). A visée de recherche, ces outils permettent d’étudier la cinétique d’apparition d’anticorps dirigés contre le SARS-CoV-2 après la rencontre avec le virus et de savoir s’ils sont neutralisants, c’est-à-dire s’ils protègent l’individu contaminé d’une nouvelle infection. Le niveau global des anticorps, y compris neutralisants, est très élevé chez les malades hospitalisés, bien plus que celui qu’on trouve chez des personnes infectées sans hospitalisation avec peu de signes cliniques ou que celui des personnes asymptomatiques, dont le titre d’anticorps neutralisants et globaux est faible. Ceci suggère que les malades aux symptômes plus graves seraient plus protégés d’une éventuelle réinfection que les autres personnes infectées. Mais, en absence de recul, on ne sait pas encore combien de temps les anticorps neutralisants persistent ; on ne connait donc pas encore la durée de la protection, qui pour le SRAS de 2003 se situait autour de 2 ans. Plus d’une vingtaine de tests sérologiques commerciaux fiables ont été validés par le CNR (Centre National de Référence) et sont maintenant disponibles à l’hôpital et en ville.
Défenses naturelles du système immunitaire
Lorsqu’une cellule est infectée par le virus, elle produit des interférons de type I (la première cytokine fût découverte en 1957 ; et de nombreuses autres cytokines ont été décrites depuis, qui constituent une famille de protéines qui envoient à distance à des cellules cibles des signaux de prolifération, différenciation ou de mort cellulaire). La production d’interférons empêche la traduction du génome viral en protéines et sa multiplication, et signale aux autres cellules la présence de virus dans l’organisme. L’ensemble des cellules stoppent leur fonctionnement, ce qui limite la propagation du virus, qui arrive toutefois à moduler, voire enrayer l’action des interférons.
Le système immunitaire inné rentre alors en action avec des cellules libres dans l’organisme comme les cellules dendritiques spécialisées dans la détection des virus ou les macrophages qui les élimineront par ingestion ou phagocytose. Si la réponse à l’infection des cellules infectées et du système immunitaire inné est rapide, ce que l’on suppose chez les enfants, la multiplication virale peut être stoppée sans qu’il y ait de symptômes, sinon, très légers, comme de la fatigue et une fièvre peu élevée. Mais l’immunité acquise peut aussi se déclencher au bout de quelques jours. Elle s’active avec les globules blancs dont certains (les lymphocytes B) vont produire des anticorps adaptés aux fragments viraux issus de la phagocytose du virus par les cellules de l’immunité inné. Dans certains cas graves, la maladie est causée par une réponse disproportionnée du système immunitaire à l’infection virale. Cet emballement des défenses naturelles de l’organisme, appelée aussi tempête ou orage cytokinique, reste en partie mystérieuse. Après l’infection initiale, une phase d’immunodépression, caractérisée par un niveau très bas de lymphocytes, peut aussi être observée. Les patients sont alors plus sensibles aux infections, notamment bactériennes et fongiques, qui constituent une des autres causes principales des décès observés, comme ce fût le cas lors de l’épidémie de grippe espagnole de 1919.
Système immunitaire inné et adaptatif (acquis) : Crédit D. Lakomy CHU Dijon
Traitements de la maladie : les médicaments
Selon Patrick Couvreur, président de l’académie nationale de Pharmacie, il n’y a pas encore de médicament spécifique contre le Covid-19, mais des traitements déjà utilisés pour d’autres maladies (cf Séance exceptionnelle COVID-19 à l’Académie des Sciences ). Ils peuvent intervenir sur deux étapes essentielles de la maladie : l’infection virale (aux différents stades du cycle viral) et la réaction inflammatoire associée à une tempête cytokinique.
Brièvement, des anticorps monoclonaux qui se fixent spécifiquement sur les récepteurs cellulaires (de type ACE2) peuvent empêcher le virus de pénétrer dans la cellule (en haut à gauche du schéma). C’est probablement par un processus similaire que la nicotine et certains produits psychotropes ont préservé leurs consommateurs de l’infection car ils se fixent sur ces récepteurs et empêchent ainsi l’entrée du virus à l’intérieur de la cellule. D’autres médicaments interviennent plus tard au cours de l’infection. C’est le cas par exemple de la chloroquine (issue du Quinquina, un arbre sud-américain aux vertus alcaloïde) et de ses dérivés, comme l’hydroxychloroquine utilisés avec succès depuis des années comme médicament préventif et curatif contre l’agent infectieux de la malaria, Plasmodium falciparum, qui est un protiste eucaryote. Ces traitements augmentent le pH des vacuoles intracellulaires où transite normalement le SARS-CoV-2, empêchant son ARN d’être versé dans le cytoplasme où il est normalement traduit en protéines. L’effet bénéfique de l’hydroxychloroquine (en association ou pas avec un antibiotique, l’azithromycine) dans le cas d’une infection au SARS-CoV-2 est pour l’instant controversé (Mehra et al. 2020). Cette molécule a pourtant fait l’objet de plusieurs études dans le monde, notamment en Chine, avec des résultats positifs (Wang et al. 2020) et continue d’être testée en Europe avec le programme Discovery. Cette vaste étude inclut aussi dans ses essais des molécules qui agiraient plus tard dans la progression virale, par exemple le Remdésivir, au niveau du complexe de réplication, et qui a montré une certaine efficacité contre le SARS CoV de 2003 et le MERS CoV depuis 2012 en test pré-clinique, ou encore l’interféron, une protéine immuno-régulatrice, efficace chez les Primates pour le MERS-CoV, en association avec d’autres antiviraux (Lopinavir et Ritonavir). Une autre piste est la transfusion de plasma de patients convalescents ayant développé des anticorps contre le virus.
Résumé des principaux médicaments et lieu d’action au cours du cycle viral
Pour ce qui concerne le traitement des réactions immunitaires paradoxales ou tempête cytokinique, ce sont les anticorps anti-cytokines comme le Tocilizumab qui bloque les récepteurs de l’interleukine-6 qui serait préconisé. Plusieurs essais cliniques ont été réalisés avec des résultats partiels mais encourageants, notamment sur les formes graves de la maladie où se produisent habituellement ces tempêtes cytokiniques. Enfin, le Méplazumab, un autre anticorps humanisé anti-cytokines a été testé in vitro sur des cultures cellulaires infectées par le SARS-CoV-2, et a inhibé significativement l’infection des cellules hôtes par le virus (Bian et al. 2020).
Les vaccins
Du fait que les vaccins constituent la meilleure protection à long terme contre certaines maladies (bactériennes et virales), la course a été lancée pour découvrir et mettre sur le marché les futurs vaccins contre le SARS-CoV-2. Mais il faut savoir que c’est une stratégie à long terme puisqu’en moyenne, il s’écoule une dizaine d’années entre la recherche fondamentale jusqu’à la commercialisation d’un vaccin. Selon Frédéric Tangy, Chef du laboratoire d’innovation : vaccin à l’Institut Pasteur, il existe à l’heure actuelle 90 candidats vaccins pour le SARS-CoV-2 qui sont développés dans le monde (!) (pour les détails, voir son intervention dans la Séance exceptionnelle COVID-19 à l’Académie des Sciences ). La piste choisie par l’équipe de Tangy, basée sur l’utilisation du vaccin vivant atténué de la rougeole, devrait permettre à la personne vaccinée de fabriquer des anticorps contre différentes protéines virales (parmi lesquelles la protéine S qui se lie au récepteur ACE2). Selon F. Tangy, les connaissances rapidement acquises sur le SARS-CoV-2 pourraient permettre d’accélérer le processus et d’effectuer les tests cliniques au début de l’année 2021.
Et demain
Prédictions sur l’épidémie
Il est très difficile de prévoir où en sera l’épidémie dans quelques mois tant les paramètres en jeu sont nombreux et nos connaissances encore parcellaires. Parmi les facteurs externes, l’influence de la température et de l’humidité ont fait l’objet de quelques études. Leur variation entrainerait une rythmicité saisonnière du virus, une saisonnalité, à l’instar de ce qui se passe pour d’autres Coronavirus bénins et pour les virus de la grippe (espagnole, H1N1…). Une équipe de l’université de Pékin a montré dans une étude de grande ampleur effectuée dans 166 pays qu’une augmentation de ces deux facteurs réduisait effectivement le nombre de cas (Wu et al. 2020), bien qu’une humidité importante semble également propice à la survie du virus, vu l’ampleur de l’épidémie au Brésil, aggravée aussi par la promiscuité chez les indiens et les plus pauvres. Le SARS-CoV-2 est certainement beaucoup plus sensible à la température car plus la température augmente, et moins il survit longtemps en dehors de son hôte (Chin et al. 2020). C’est ce qui laisse Arnaud Fontanet, responsable du département Santé globale de l’Institut Pasteur, suggérer « que peut-être l’augmentation de la chaleur pourrait participer au déclin du virus pendant l’été ». Mais que se passera-t-il après ? Y aura-t-il une deuxième vague ? Pour prendre en compte de nombreux paramètres, des modélisations sont nécessaires. Un article récemment publié dans la prestigieuse revue Science de l’Ecole de Santé Publique de Harvard (Kissler et al, 2020) décrit plusieurs scénarii qui font alterner des mesures de distanciation physique plus ou moins strictes (au cours desquelles la circulation du virus est ralentie, mais avec un coût économique et social du confinement important) avec des périodes de relâchement (qui entrainent, dans les modèles extrêmes, des hospitalisations et des morts du fait du dépassement des capacités en lits de réanimation) mais permettent de construire graduellement une immunité collective dans la population (cfSéance exceptionnelle COVID-19 à l’Académie des Sciences ). Cette immunité collective pourrait d’ailleurs être atteinte plus rapidement que les modèles ne le prédisent s’il se confirme qu’une partie de la population est « naturellement » protégée contre le virus sans avoir été infectée par lui car elle aurait été en contact au préalable avec d’autres coronavirus. Elle conserverait alors des anticorps efficaces contre le SARS-CoV2. Cette possibilité d’une « immunité croisée » pourrait permettre d’attendre l’arrivée d’un traitement efficace ou encore mieux d’un vaccin qui offre une immunité collective sans passer par des périodes d’infections massives. Souhaitons qu’un vaccin soit effectivement disponible en 2021 !
Traçage
D’après Olivier Faugeras de l’Inria (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique), une des raisons de la pandémie actuelle est le fait qu’une personne peut être contagieuse plusieurs jours sans présenter de symptômes, d’où l’utilité d’identifier les personnes qui ont été en contact avec le porteur du virus afin de maîtriser l’épidémie, comme cela a été le cas en Corée du Sud notamment, en lien avec une politique de dépistage systématique. Ceci justifie la mise en place depuis le 11 mai des brigades sanitaires alias « anges gardiens » pour identifier les personnes rencontrées par le porteur identifié du virus, qui sera étendue à une application (ange gardien) sur téléphone portable sur la base du volontariat (StopCovid). Cette application (bluetooth et pas géolocalisée), en complément des brigades, permettra de retracer et de prévenir des personnes participant également au système de veille via leur application mobile, et qui auraient été en contact avec un individu porteur du virus ayant déclenché des symptômes.
Conclusion
Que conclure si ce n’est d’espérer que l’épidémie s’arrête rapidement et que les recherches dans toutes les disciplines, y compris en Sciences humaines et sociales, continuent pour que nous tirions le plus d’enseignements possibles de la crise du Covid-19. En d’autres termes, comment devons-nous prendre en compte la complexité du vivant et le fonctionnement des écosystèmes pour maintenir des équilibres bénéfiques pour tous ?. Les réponses pourraient être d’arrêter de détruire la nature ou de jouer aux apprentis sorciers, et d’harmoniser nos relations avec le reste du monde animal et végétal pour ne pas engendrer une prochaine épidémie dans un avenir trop proche. C’est ce que nous abordons dans cet article « Coronavirus : la nature contre-attaque?« .
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Remerciements à Mickael Cohen du CDG31 pour sa veille précieuse sur la documentation scientifique qui fût cruciale pour la rédaction de cet article.
En ce cinquième anniversaire du confinement en France, cet article propose une synthèse des données scientifiques et autres révélations postérieures à juillet 2021 sur l’origine et les répercussions du Covid 19, faisant suite aux précédents articles écrits avant cette date par les mêmes auteurs.
Cet article vient compléter les 3 articles déjà parus dans Parlons Science. Il fait un état des lieux des variants et des vaccins disponibles à ce jour et se penche sur l’origine du virus SARS-CoV-2 qu’il parait indispensable d’élucider afin d’éviter de futures crises sanitaires mondiales.
Le virus SARS-CoV-2 s’est répandu très rapidement sur notre planète depuis la fin de l’année 2019. Responsable des symptômes associés à la maladie appelée Covid-19, ce virus a complètement bouleversé nos vies et la plupart de nos sociétés.
Un nouveau virus mortel vient de faire son apparition en Chine. A ce jour, plus de 2 000 personnes ont été infectées depuis le mois de décembre et 80 en sont mortes. 3 cas ont été identifiés en France. Quel est ce virus, d’où provient-il et comment se transmet-il ?
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