Du rite funéraire au deadbot, notre lien aux morts réinventé
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Article rédigé par VALÉRIE MILS
Maître de conférence en Biologie Cellulaire à l'Université Paul Sabatier, Faculté des Sciences et Ingénierie.
La corruption inéluctable de la chair après la mort fait peur à l’Humain qui a du mal à se résoudre à une disparition « corps et âme ». Toutes les cultures ont des rites funéraires qui entretiennent notre espoir d’un devenir au-delà de la mort. Selon les croyances, cette étape nécessite la préservation des corps qui dans ce but sont embaumés ou momifiés. Ces dernières années, les rites funéraires évoluent, des méthodes alternatives voient le jour avec parfois une préoccupation moindre du corps. Garder le contact oral avec le mort deviendrait un désir des survivants mais à quel risque…
Toutes les cultures ont des rites funéraires
Dans la religion chrétienne, il est important de conserver un corps charnel pour permettre sa résurrection au moment du jugement dernier. Chez les égyptiens, les défunts illustres étaient enfermés dans leur tombeau en compagnie de serviteurs sacrifiés sensés les servir dans l’au-delà. Du vin et de la nourriture étaient ajoutés pour être consommés pendant leur voyage. En Amérique latine, les morts sont régulièrement reconvoqués parmi les vivants à l’occasion de fêtes joyeuses et collégiales. Aux Philippines, les morts sont conservés en famille jusqu’à ce qu’une sépulture soit disponible et ils se momifient aux côtés des vivants qui continuent d’en prendre soin.
En totale opposition, d’autres religions prônent la destruction du corps afin de libérer l’être spirituel. Chez les bouddhistes tibétains, les morts sont démembrés et donnés en pâture aux oiseaux charognards. La destruction du corps a pour but de briser le cycle des réincarnations et permettre au mort d’accéder au Nirvana. Dans les rites brahmaniques, on pratique la crémation pour aider la libération de l’âme. Le cérémonial autour de la mort varie donc selon les cultures et les croyances associées. Il existe d’excellents ouvrages décrivant en détail ces différents protocoles.
Pourtant dans nos sociétés occidentales, les rites funéraires évoluent
Le recul de la religion a laissé le champ libre à de nouvelles pratiques comme la crémation, seule autre forme d’«enterrement» autorisée en France avec l’inhumation. Cette tendance concerne plutôt les populations urbaines moins conservatrices et davantage nomades. Outre un bilan écologique beaucoup plus favorable que l’inhumation, la crémation épargne aux générations suivantes, parfois éloignées, l’entretien coûteux et contraignant d’une tombe. D’autres procédés non autorisés en France mais déjà légalisés dans certains pays ont récemment vu le jour. Ils répondent au souci de plus en plus pressant de recourir à des funérailles plus écologiques.
Le premier d’entre eux est l’humusation c’est-à-dire la transformation du corps en humus. Pour cela, la dépouille ne doit pas être embaumée même partiellement, elle ne doit pas être enfermée dans un cercueil et ensevelie sous 2 mètres de terre. Au contraire, elle doit reposer à même le sol sur une litière végétale puis recouverte de copeaux de bois. En condition humide, les micro-organismes du sol superficiel vont permettre la décomposition du corps en quelques mois. Cela produit un compost qui pourra être répandu en forêt par exemple.
L’autre alternative encore plus singulière est l’aquamation. Il s’agit cette fois de provoquer la dissolution du corps en le plongeant dans un bain de soude. Il faut 3 à 6 heures pour obtenir la liquéfaction du corps dont il ne persiste que les os. On s’inquiète donc moins qu’avant de préserver la dépouille du défunt. On ne porte plus le deuil et on ne visite plus les cimetières comme par le passé. La perte de ces repères pourrait selon certains spécialises occulter la conscience de la disparition de l’autre et enrayer le nécessaire travail de deuil.
On peut également citer une autre méthode plus marginale et encore expérimentale : la promession. Imaginée en 1999 par la biologiste suédoise Susanne Wiigh-Mäsak cette technique consiste à plonger une dépouille dans un bain d’azote liquide à -196 °C, ce qui la rend friable. Le corps ainsi congelé peut être réduit en poudre. Cette méthode est encore très loin d’être au point (au même titre que la cryogénisation) et reste totalement interdite.
Garder contact avec le défunt : la dangereuse promesse des intelligences artificielles
La mort est de façon certaine la destruction de notre enveloppe charnelle. Mais qu’en est-il de notre être spirituel ? Les profanes considèrent que l’Esprit n’est que le fruit d’une activité cellulaire qui meurt avec le reste du corps. Les « religieux » croient au contraire que la pensée et l’âme sont deux entités différentes et que l’âme survit à la disparition physique de l’individu. L’âme préservée et libérée du corps rejoint alors de nouveaux royaumes inaccessibles aux vivants. Selon certaines croyances, l’âme des individus décédés de mort violente ou prématurée pourrait aussi rester bloquée entre le monde des vivants et celui des morts. Ces âmes non affranchies seraient capables de communiquer au travers de personnes aptes à les percevoir que sont les sorciers, chamans et autres mediums. Ces contacts sont-ils authentiques ou simulés ? Pour l’heure, il nous est impossible de démontrer la réalité de ces conversations d’outre-tombe, tout au plus pouvons-nous estimer la bonne foi des officiants.
Podcast La Vie Mortelle – Episode 5 “Deadbots : parle avec les morts” avec Belén Jiménez.
Quoi qu’il en soit, force est de constater que pour nombre d’entre nous, le besoin de poursuivre une relation avec la personne décédée perdure en dépit de la conscience que l’on a de sa disparition physique. Or, ce besoin est sur le point d’être satisfait par la génération de nouveaux produits fruits des récents développements des intelligences artificielles (IA).
Depuis de nombreuses années, la recherche en Intelligence artificielle a été orientée vers le développement de chatbots, des agents conversationnels capables de dialoguer avec l’utilisateur de manière réaliste et apparemment naturelle. Les chatbots fonctionnent selon un algorithme entrainé sur une base de données supervisées qui aligne les suites de mots selon l’enchaînement statistiquement le plus probable d’après les modèles rencontrés lors d’une phase préliminaire d’entraînement. Initialement limités à des fonctions d’assistance, les chatbots s’améliorent en permanence grâce à l’évolution des techniques d’apprentissage machine (deeplearning), à la puissance des processeurs et à la taille des bases de données. En 2021, le modèle LamDA (Language Model for Dialogue Applications), proposé par Google, est entraîné spécifiquement sur de gigantesques ensembles de conversations ; il génère un dialogue beaucoup plus naturel sur un nombre presque illimité de sujets. Mis sur le marché, en mars 2023, le chatbot chatGPT et GPT-4 apparaissent à ce jour comme les agents les plus performants.
La limite entre l’humain et la machine devient donc de plus en plus floue et aujourd’hui, les chatbots proposent de défier la mort. Les premières applications appelées deadbots proposant de converser avec des jumeaux virtuels des personnes décédées font leur apparition. Le deadbot est comme le chatbot un algorithme entraîné sur une base de données correspondant aux conversations tenues par le défunt de son vivant retrouvées grâce aux traces numériques qu’il a laissé sur internet via les mails et sur les réseaux sociaux. Or, s’il est contraire à l’éthique d’utiliser les données personnelles des vivants sans leur consentement, pourquoi serait-il éthique de le faire avec les morts ? Les deadbots posent donc un certain nombre de problèmes que le Comité national d’éthique a souligné dans un avis consultatif rendu sur ce sujet en novembre 2021.
Une première mise en garde concerne le Consentement du défunt pour l’utilisation de ses données après sa mort. Pour pallier ce problème, toute une industrie se met en place pour récupérer les données personnelles de personnes vivantes avec leur accord pour les faire revivre après leur décès. Un clonage de la voix peut se faire en 2het on récupère aussi la forme et le contenu des conversations qui seront utilisées pour l’entrainement de l’IA.
Un second problème, et non des moindre est le risque résultant de l’usurpation de l’identité de la personne décédée.
Enfin, il est important de considérer l’impact psychologique des deadbots sur ceux qui conversent avec la personne décédée. Les professionnels craignent le développement d’addiction, l’impossibilité de faire son deuil pouvant déboucher sur des dépressions. Pour prévenir ces dérives, il est important de rappeler que le deadbot n’est qu’une illusion : sa conversation n’est que le fruit d’un alignement statistiquement probable de mots, fidèle aux modèles qu’on lui a proposés pendant la phase d’apprentissage. En dépit d’un discours apparemment cohérent, le deadbot au même titre que tous les chatbots ne comprend rien de ce qu’il dit, n’a aucune conscience morale et aucun sens éthique et n’éprouve ni émotion ni empathie. Il n’a ni imagination ni créativité. Il est aussi dépourvu de conscience phénoménale associée à une expérience qualitative, telle que la perception d’une couleur, la sensation de chaud ou de froid, le sentiment d’anxiété. Bref, il ne reste qu’une machine qui, en dépit de ses fabuleux pouvoirs d’imitation, est bien loin de remplacer la compagnie de l’être aimé.
Photo d’en tête : crédit Christophe Bersoullé – Piment vert.