Virus géants : vivants ou non vivants ?

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Articlé rédigé par VALÉRIE MILS,
Maître de conférence en biologie cellulaire – Faculté des Sciences et Ingénierie – Université Paul Sabatier à Toulouse.

Cet article est le troisième et dernier de la série « DES VIRUS XXL QUI BOULEVERSENT LES DOGMES DE LA VIROLOGIE » . Vous êtes maintenant familiers avec les virus géants que nous avons découverts à l’occasion du premier et deuxième article. Ici, nous faisons le point sur le débat toujours ouvert concernant le statut vivant ou inerte des virus. Enfin, nous évoquons l’importance des virus géants dans l’équilibre des écosystèmes et la santé humaine.

Virus géants : vivants ou non vivants ?

La question de l’état vivant ou non vivant des virus fait polémique depuis des siècles et ce n’est certes pas nous qui allons trancher le débat. Cette question est d’autant plus complexe que nous ne disposons toujours pas de définition claire de ce qu’est la vie… ni de ce qu’est un virus !

En tant que parasites obligatoires, les virus ont longtemps été considérés comme des particules « inertes » incapables d’assurer leur réplication et dépourvues de métabolisme. Aujourd’hui, de nombreux virologues considèrent que c’est une conception biaisée de la nature des virus. En effet, la définition de virus repose essentiellement sur la description de ses virions c’est-à-dire un état transitoire du virus permettant sa dissémination. Se concentrer sur les particules virales pour définir le virus c’est un peu comme si on cherchait à caractériser une plante uniquement sur la base des graines qu’elle produit. On pourrait également signaler que, si on s’en tient aux critères que doit satisfaire un organisme vivant, les globules rouges qui n’ont ni noyau ni mitochondries sont eux aussi tout à fait inertes !!

Rappelons que la phase de dissémination des virions n’est qu’une étape du cycle infectieux des virus. Au cours de ce cycle, le virus passe d’abord par une phase de multiplication qui se déroule dans la cellule infectée. Dans le cas des virus géants, le virion s’intègre dans le cytoplasme cellulaire et élabore une usine virale qui forme avec son hôte un « organisme hybride » possédant toutes les caractéristiques du vivant. Cet organisme est drastiquement différent de la cellule non infectée. Il correspond à un état remarquable qui réunit dans le même cytoplasme le génome viral et le génome de l’hôte converti aux objectifs infectieux. Le métabolisme est modifié ainsi que la morphologie de la cellule et ses interactions avec ses voisines.

Modes de réplication du virus classique et d’un virus géant.
Crédit : Claverie JM, Abergel C. Laboratoire IGS Université Aix-Marseille. Tiré de la revue Pour la Science n°415, mai 2012

Cet organisme correspondrait donc au virus « vivant » c’est-à-dire capable de se répliquer et de produire des protéines métaboliquement actives, des protéines régulatrices et des protéines de structure. Cette idée a été formalisée sous le concept de « cellule virale » ou « virocell » par P. Forterre, un de nos éminents virologues français. Si ce modèle est validé, il faut accepter que le virus passe alternativement par un état vivant sous forme de virocell à un état inerte sous forme de virion (de façon imagée, le virion serait la forme gamétique de la virocell).

D’autres chercheurs abordent la question sous un angle plus philosophique et remettent en question notre conception binaire de la vie. Au lieu de distinguer deux états tranchés « vivant » versus « non vivant » (ou inerte), ils proposent de concevoir la vie comme un continuum entre ces deux états extrêmes qui rend impossible à placer le moment où la vie « apparaît ». On retrouve au sein de ce continuum toutes les « manifestations » acellulaires du vivant que sont les virus, géants ou pas, mais aussi les viroïdes, les plasmides, les transposons, les prions, les ribosymes et toutes autres choses relevant d’un processus vital sans être complètement vivant. C’est ainsi reconnaître le rôle qu’ils ont joué et jouent encore dans les expressions multiples de la vie et dans son évolution.

Rôle de virus géants dans la régulation des écosystèmes

Historiquement, les virus géants ont d’abord été identifiés en tant que parasites d’amibes vivants en eau douce. Ils ont été retrouvés dans des lacs, des étangs, piscines, tours de refroidissement et autres réservoirs abondants en matière nutritive. Par la suite, on a montré qu’ils étaient également présents en milieu marin. Ainsi, entre 2004 et 2007, la mission Global Ocean Sampling Expedition (GOS), dirigée et financée par Greg Vanter, a collecté des échantillons d’eau marine le long d’un parcours allant de l’Atlantique nord au Pacifique est. Des virus géants de la famille de Mimivirus mais aussi leurs virophages ont été retrouvés en abondance dans la plupart de ces échantillons démontrant que ces virus avaient conquis d’autres écosystèmes. En milieu marin, le Megavirus CroV parasite l’espèce micro-zooplanctonique Cafeteria roenbergensis qui appartient à un groupe très répandu de protistes laissant supposer une vaste répartition de CroV dans les océans du globe.

Le phytoplancton est, quant à lui, composé de cyanobactéries et de micro-algues. Emiliania huxleyi est l’une des espèces de micro-algues photosynthétiques les plus abondantes du phytoplancton marin et elle joue un rôle central dans le cycle du carbone océanique.

Périodiquement, elle connait des épisodes d’hyperprolifération générant d’immenses efflorescences pouvant atteindre 100 000 km2. Ces « blooms » ont diverses causes mais sont le plus souvent liés à l’apport abondant d’éléments eutrophisants tels que des nitrates ou des phosphates. Ces proliférations massives pourraient s’avérer être une aubaine pour le zooplancton qui s’en nourrit mais elles ont souvent des effets toxiques en réduisant fortement la concentration en oxygène de l’eau ou en libérant des toxines. Or, ces blooms dévastateurs peuvent être efficacement contenus par l’infection de E. huxleyi par EhV, un virus géant de la famille des phycodnaviridae.

Emiliania huxleyi – Phytoplancton marin unicellulaire produisant des écailles de carbonate de calcium (coccolithes). Micrographie électronique à balayage d’une cellule de coccolithophore.
CC BY 2.5 Alison R. Taylor (University of North Carolina Wilmington Microscopy Facility) — PLoS Biology, June 2011
Emiliania huxleyi viruses (EhV) qui infecte l’algue unicellulaire Emiliania huxleyi.
Crédit : University of Nebraska-Lincoln/ Angie Fox, illustrator/ www.worldofviruses.unl.edu, 2009

En éradiquant E. huxleyi, espèce dominante, EhV offre aux espèces moins compétitives la possibilité de se développer. Toutefois, la lyse des cellules infectées libère aussi des enzymes qui peuvent attaquer et détruire les espèces les plus sensibles. Il se produit donc tout un remodelage de l’écosystème planctonique. Mais ce n’est pas là le seul impact de EhV sur son environnement : en succombant, les micro-algues infectées libèrent de grandes quantités de matière organique sous forme de carbonate de calcium qui se déposent en couches sédimentaires au fond des océans. Elles constituent un réservoir de carbone à long terme qui, en se décomposant, restituera du CO2 dans l’atmosphère. Enfin, il s’échappe des cellules lysées un produit dont la décomposition par d’autres micro-organismes libère un gaz d’odeur caractéristique, le diméthylsulfure (CH3)2S. En s’évaporant vers l’atmosphère, ce gaz contribuera à la formation de nuage et de pluie.
Ainsi, EhV démontre que les virus géants peuvent jouer un rôle essentiel dans la régulation des écosystèmes, de la géologie et du climat.

Virus géants et santé humaine

Les virus sont souvent assimilés aux mots « maladie » et « danger ». Ces deux années de pandémie n’ont pas contribué à redorer leur réputation ! Pourtant, la très grande majorité d’entre eux sont inoffensifs pour l’homme. L’analyse du virôme humain en conditions non pathologiques prouve que nous hébergeons de grosses quantités de virus sans développer le moindre symptôme. Il s’agit la plupart du temps de phages infectant les bactéries de nos différents microbiotes, mais on trouve également en abondance toutes sortes de virus d’eucaryotes, y compris des virus géants.

Il est légitime de se poser la question d’une éventuelle pathogénicité de ces virus géants. On est donc surpris de constater qu’il n’existe à ce jour que très peu de données disponibles à ce sujet. Quelques chercheurs ont signalé la présence de Mimivirus dans les poumons de patients atteints de pneumonie ou de tuberculose ce qui n’implique pas forcément qu’ils soient les agents responsables de ces maladies. En fait, il n’existe à ce jour aucune enquête épidémiologique sérieuse démontrant leur potentiel infectieux chez l’homme. A priori, ce résultat n’est pas surprenant puisque ces virus ont pour hôtes habituels des amibes et des micro-algues. Généralement, le tropisme des virus est très spécifique : ils ne peuvent infecter qu’un seul type d’hôte capable de supporter la production des particules virales. Le franchissement de la barrière d’espèce est très rare…mais pas impossible comme ce fut le cas lors de la transmission de virus de civette et de virus porcins à l’humain et qui furent à l’origine des épidémies de SarsCoV1 et du SRAS, respectivement.

Comme rien de convaincant n’a été trouvé in vivo, certaines équipes ont tenté d’apporter des éléments de réponse par le biais d’expériences in vitro. Ainsi, il a été montré que Mimivirus pouvait infecter des monocytes sanguins, des cellules humaines spécialistes de la phagocytose, capables d’absorber le virus au même titre qu’une amibe. L’intrusion de l’ADN double brin du virus dans le cytoplasme déclenche alors un signal de danger qui conduit à la production d’interféron béta, molécule clé de l’immunité innée anti-virale permettant l’expression d’une enzyme à effet virucide. Jusqu’ici rien de très original donc puisque la cellule réagit face au virus géant comme dans n’importe quel cas d’infection par les virus à ADN. Mais s’il est facile d’infecter des cellules dans une boîte de culture, cela ne permet pas de dire que Mimivirus est capable d’infecter l’homme.
Une seule étude, publiée en 2014, a temporairement soulevé quelques inquiétudes. Elle n’a d’ailleurs pas eu de suite. Lors de ce travail, les chercheurs ont procédé à l’analyse métagénomique du microbiote oral de patients atteints de troubles psychiatriques. Les résultats révélèrent la présence incongrue du virus géant ATCV-1 qui parasite normalement les algues vertes d’eau douce (chlorelles). Les chercheurs interpellés par ce résultat surprenant ont répété leur expérience sur une petite cohorte de sujets sains : plus de 40% se sont avérés porteurs du virus. L’article n’explique pas comment ce chlorovirus a pu se retrouver chez l’homme mais il décrit que les sujets infectés par ATCV-1 ont des performances cognitives légèrement inférieures à celles des sujets non contaminés. Pour prouver que les effets cognitifs étaient causés par ATCV-1, le virus a été injecté à des souris…qui ont reproduit les effets observés chez l’humain. Le neuroscientifique à l’origine de cette étude est cependant rassurant : les effets cognitifs étaient très limités et la cohorte trop petite pour généraliser ce résultat. De plus, des données obtenues chez la souris ne sont pas directement transposables à l’humain. Enfin, l’étude n’explique pas comment agit le virus. Il est hautement improbable qu’ATCV-1 soit un virus neurotrope et l’effet observé peut être expliqué par un effet secondaire indésirable de la réponse immunitaire.
Par exemple, supposons que vous soyez infecté par des amibes porteuses d’un virus géant. Votre organisme va en première intention chercher à se débarrasser de ces amibes. Les macrophages qui patrouillent dans tout votre organisme à la recherche d’intrus vont phagocyter ces protistes indésirables et les détruire… ainsi que les virus géants qu’ils hébergent. Les antigènes du virus vont donc, au même titre que les antigènes d’amibe, être présentés au système immunitaire et provoquer la formation d’anticorps. Ce sont ces anticorps qui induisent un risque potentiel car si par malchance l’un des antigènes viraux ressemble à une de vos propres protéines, les anticorps produits vont également s’attaquer à cette protéine cellulaire et provoquer des désordres tissulaires qui peuvent être importants. C’est un peu comme si le virus déclenchait chez vous une maladie auto-immune (cette situation n’est pas sans rappeler également le cas de l’allergie au gluten). Un tel scénario a pu être reproduit expérimentalement chez la souris : après injection d’une protéine issue du Mimivirus et homologue du collagène, la souris a produit des anticorps capables de s’attaquer à son propre collagène et a développé des symptômes proches de ceux associés à la polyarthrite rhumatoïde. Dans le cas du virus ACTV-1 et des effets sur la cognition il faudrait rechercher si et comment les sujets porteurs ont ingéré des chlorelles infectées par ACTV-1 ? La dégradation d’ACTV-1 par le système immunitaire a-t-elle généré la production d’auto-anticorps dirigés contre les neurones ? Des études plus poussées auraient été nécessaires pour répondre à ces questions mais n’ont apparemment pas été entreprises. C’est dire le doute qui peut planer sur la fiabilité de telles informations…

Un autre élément plus préoccupant à considérer est la découverte de deux types de virus géants très différents dans le même échantillon de pergélisol (voir ci-dessus Partie I) ce qui suggère une grande diversité virale dans ce biotope. Ces virus ont gardé leur potentiel infectieux après un sommeil de 30 000 ans. En l’absence d’un consensus concernant la pathogénicité des virus géants, ceux-ci sont considérés comme des virus de classe 2 en biosécurité, c’est-à-dire des agents qui provoquent des maladies bénignes et qui ne se disséminent pas par aérosol. Mais la persistance de ces Mégavirus dans le pergélisol laisse présager que c’est aussi le cas d’autres types de virus parmi lesquels des virus susceptibles d’infecter l’Humain. La conservation du potentiel infectieux de ces virus nécessite toutefois des conditions optimales de décongélation et une mise en contact immédiate avec l’hôte. Le pergélisol superficiel subit chaque année des cycles saisonniers de congélation-décongélation qui détruisent tous les micro-organismes et les virus. Il y a donc peu de risques de contamination par des échantillons de surface. Le risque pourrait être plus important concernant le pergélisol profond. Sa mise à l’air libre brutale lors de travaux d’extractions minières qui ont lieu en Arctique pourrait exposer les travailleurs à des risques infectieux dont on a du mal à mesurer la portée actuellement. Pour cette raison, un principe de précaution devrait être appliqué en réalisant une veille médicale sur chaque site de forage. Parallèlement, on procède à des analyses métagénomiques à la recherche de virus pathogènes connus y compris ceux qui seraient considérés comme éradiqués tel que le virus de la variole. Mais cette approche n’est pas exhaustive car elle exclut l’identification de virus inconnus et potentiellement dangereux pour l’humain.

Conclusion

La découverte par hasard des virus géants il y a seulement 20 ans montre à quel point nous sommes ignorants de la diversité du monde viral et de la biodiversité en général. Répandus dans de nombreux biotopes, les virus géants jouent des rôles majeurs dans de nombreux domaines. Source de nouveaux gènes, agents de sélection, capables de reprogrammer l’activité et le phénotype des cellules qu’ils infectent, les virus géants joueraient un rôle important dans l’évolution des procaryotes et des eucaryotes. Les nombreux gènes et enzymes qu’ils partagent avec les organismes cellulaires leur confèrent des compétences inédites qui remettent en question les limites établies entre cellule et virus, vivant et non vivant. Leur capacité à réguler les populations planctoniques qui contrôlent des taux d’oxygène et de CO2 atmosphériques montre qu’ils participent à l’écologie de la planète et à l’évolution du climat.
Ces propriétés ne sont pas l’apanage des virus géants, elles sont partagées avec d’autres virus aquatiques. Nous n’en sommes qu’au début de l’étude de la diversité du monde viral. Jusqu’ici, les études se sont concentrées sur les virus pathogènes ce qui parait logique, guidé par des contingences sanitaires, mais cela reste très réducteur. Le nombre de virus épidémiques est infime comparé à la très grande richesse du monde viral. La plupart des virus sont inoffensifs et même bénéfiques pour leurs hôtes. Au niveau évolutif, certains ont même établi de véritables symbioses. Ils ont certainement participé à l’émergence des premières cellules et à leur évolution en organismes complexes. Ils sont omniprésents dehors mais aussi dedans compte tenu du nombre incroyablement élevé de séquences virales retrouvées dans notre génome. Ces séquences représentent environ 8% de notre ADN contre seulement 1,5% pour les séquences qui font de nous des êtres du genre Homo. Sur un plan arithmétique nous sommes donc d’avantage virus qu’être humains. Cela donne à méditer.

Extrait de l’épisode 12 de la bande dessinée Biodiversité de l’invisible diffusée sur Instagram sous le compte @museum_toon, du bédéiste Mr Box.
Crédit Muséum de Toulouse

Suite de la série des 3 articles « Des virus xxl qui bouleversent les dogmes de la virologie » à découvrir ici