Un mastodonte découvert en Haute-Garonne !

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Article rédigé par PASCAL TASSY,
Professeur honoraire du Muséum national d’Histoire naturelle (Paris), bénévole au Muséum d’Histoire naturelle de Toulouse.

Mis au jour en 2017, dégagé et monté en 2024 les restes d’un mastodonte qui vivait il y a 10 millions dans le Comminges, du côté de l’Isle-en-Dodon nous racontent une étonnante histoire.

Il y a 10 à 12 millions d’années, une époque que les géologues appellent le Miocène, la Haute-Garonne était peuplée de mastodontes, des animaux apparentés aux éléphants d’aujourd’hui. Le paysage ressemblait un peu aux forêts ouvertes et aux savanes arborées d’Afrique. Les mastodontes qui y vivaient étaient des animaux de la taille des éléphants d’Asie actuels mais s’en distinguaient par leur silhouette et leurs dents. Ils étaient plus bas sur pattes, avec un museau allongé, ils possédaient quatre défenses, deux à la mâchoire supérieure et deux à la mâchoire inférieure. Leurs molaires étaient munies de tubercules arrondis adaptés à une nourriture à base de feuilles.

Un mastodonte au pied des Pyrénées

Depuis longtemps les paléontologues savent qu’une espèce appelée Tetralophodon longirostris vivait du côté de Saint-Gaudens (département 31) et de Montréjeau, il y a une dizaine de millions d’années. A peu près à la même époque, une autre espèce, dénommée Mastodon pyrenaicus par le paléontologue gersois Edouard Lartet (1801-1871), avait fréquenté les environs de l’Isle-en-Dodon. On n’en connaissait que quelques molaires.

Et voilà qu’en 2016 David Castex, conseillé par Vivien Riout, voisin et amateur de paléontologie et de préhistoire, prévenait le Muséum d’Histoire naturelle de Toulouse (MHNT) de sa découverte fortuite d’un fossile lors de travaux dans un talus près de l’étable abritant ses vaches de race gasconne, à Montesquieu-Guittaut dans le Comminges. Le tractopelle est passé dans ce qui semble être un crâne car deux défenses sectionnées sont visibles. Le propriétaire a arrêté les travaux, protégé le crâne avec une bâche et récupéré les fragments dont une portion de palais avec une molaire. En novembre de la même année une équipe du MHNT vient expertiser la découverte. Coup de tonnerre : c’est une tête osseuse, c’est-à-dire un crâne et une mâchoire inférieure associés. La première jamais découverte de cette époque.

Du terrain au Muséum d’Histoire Naturelle

Terrain de fouille paléontologique à Montesquieu-Guittaut (31).
Crédit : Yves Laurent

Une mission du MHNT dirigée par le paléontologue Yves Laurent, chargé de collection et préparateur au Muséum de Toulouse, est mise sur pied et exhume le spécimen en septembre 2017. Le crâne s’est fossilisé « à l’envers », c’est-à-dire qu’il repose sur la face dorsale. Le tractopelle a traversé le palais et la base de la mâchoire inférieure. Mais malgré cela il ne semble pas déformé par le poids des sédiments déposés après son ensevelissement définitif. L’extraction du crâne se fait selon une technique ancestrale qui a fait ses preuves. Le sédiment est retiré tout autour, la tête osseuse est protégée par du papier journal puis recouverte de bandes plâtrées. Au bout de cinq jours de travail, l’énorme cocon est retourné, à grand peine : ce sera donc la face dorsale, encore recouverte de sables et graviers, qui sera dégagée en premier au laboratoire.

Le spécimen voyage ainsi le 21 septembre jusqu’au bâtiment des collections du MHNT. Il dépasse les 500 kilos. Le 27 septembre le travail de dégagement commence, avec l’espoir de constater que le museau et le sommet du crâne sont bien conservés. Les outils de base sont la petite truelle, le couteau à huître, le pinceau, la brosse mais aussi le couple marteau et burin cher aux tailleurs de pierre, puis micro-marteau piqueur à compresseur, sans oublier l’aspirateur pour les déblais et la scie circulaire pour découper les bandes plâtrées. Le sédiment est un sable plus ou moins grossier avec un ciment marno-calcaire. En s’asséchant il durcit et prend peu à peu la consistance du béton. L’os est clair, comme le sédiment. L’un et l’autre sont à peine discernables, d’un blanc qui tire vers le gris ou vers le beige.

Premiers travaux de dégagement du crâne après son arrivée au Muséum de Toulouse.
Crédit : D.Visset
Technique de retournement du crâne du mastodonte.
CC by-sa-nc Pascal Tassy

La face dorsale est finalement entièrement mise au jour en janvier 2023 après trois interruptions majeures dues à la pandémie du coronavirus et trois confinements en 2020 et 2021. Après avoir été scanné par Sylvain Duffaud (société Paléoscène) le crâne est retourné en mars 2023. Le dégagement de la face ventrale peut recommencer. La mandibule en position anatomique est étroitement associée au crâne, en occlusion, c’est-à-dire que les molaires supérieures et inférieures sont en contact. La séparation de la mandibule et du crâne est une opération délicate mais réussie. Le palais détruit lors de la découverte mais sauvegardé en partie est replacé.

Au bout du compte le nombre d’heures consacrées au seul dégagement mécanique de la tête osseuse aura dépassé les 800.

Qui était ce mastodonte ?

A mesure de son dégagement le spécimen révélait peu à peu ses secrets.

L’animal était un mâle adulte. Comment peut-on savoir cela ?

Ses défenses, parce qu’elles sont puissantes semblent être d’un mâle par comparaison avec ce que l’on sait d’autres espèces apparentées. Une telle déduction à partir d’un seul spécimen reste cependant conjecturale. En revanche, l’âge individuel ne fait pas de doute. Les molaires en place et leur degré d’usure fournissent le moyen de donner un âge par comparaison avec les éléphants. Chez ces derniers – tout comme chez les mastodontes – les molaires font éruption au long de la vie de l’animal. Les premières se résorbent et tombent, remplacées dans la mâchoire par les suivantes. L’arcade dentaire n’est ainsi jamais complète, comme si chez nous humains lorsque la dernière molaire (la « dent de sagesse ») perçait nous perdions prémolaires et molaires antérieures.

Mise en avant des dents du mastodonte découvert en 2017 à Montesquieu-Guittaut (31).
CC by-sa-nc Lisa Cocrelle, Muséum de Toulouse
Dégagement du crâne du mastodonte découvert en 2017 à Montesquieu-Guittaut (31).
CC by-sa-nc Lisa Cocrelle, Muséum de Toulouse

Sur le crâne de Montesquieu-Guittaut on peut constater que les molaires en place sont les deuxièmes et troisièmes (nommées M2 et M3) : les premières molaires (M1) et, encore avant, les prémolaires ont été expulsées depuis longtemps. En outre les M2 sont totalement usées, il n’existe plus rien des tubercules formant la couronne et seul l’émail à la base de la dent est visible. Ces dents étaient près de ne former qu’un chicot avant de tomber. Les dernières molaires (M3) sont en éruption et l’usure due à la mastication n’atteint que l’avant de la dent. Cette combinaison de caractères dentaires permet de déduire que l’animal, à sa mort, était âgé, mais pas sénile, soit 40 ans en âge équivalant à celui des éléphants d’Afrique dont on sait qu’ils ont une espérance de vie de 60 ans en moyenne.

Découverte d’une nouvelle espèce !

Quoi qu’abîmé par le tractopelle, le crâne n’était pas aplati ni déformé, ce qui est rare. Même si la zone articulaire du crâne et de la mandibule avait été arrachée par le tractopelle, le reste de la mâchoire inférieure se trouvait en position anatomique, ce qui est encore plus rare et signe que le spécimen n’a pas été transporté avant son enfouissement définitif.

Le crâne est plus allongé que celui d’un éléphant, un trait partagé par les mastodontes en général, mais il est haut, ce qui est un caractère évolué, important pour qui veut saisir les parentés de l’espèce. La position des dernières molaires (M3) dans la mâchoire, avec un angle d’éruption marqué, est un autre trait évolué peu fréquent à l’époque géologique où vivait l’animal (10-12 millions d’années). Comme tous les mastodontes appelés gomphothères par les spécialistes, la mandibule est munie d’un long menton au bout duquel pointent deux défenses, plus petites que les défenses supérieures. Comme ces dernières, les extrémités ont été détruites et il a fallu les reconstituer. Mais le point important est que ce long menton, appelé rostre symphysaire, est exceptionnellement incliné vers le bas. Un trait évolué, jusque-là inconnu chez les mastodontes du Miocène, et qui évoque la morphologie des premiers éléphants, cinq millions d’années plus tard. La morphologie des molaires rapproche l’animal découvert à Montesquieu-Guittaut de l’espèce Mastodon pyrenaicus décrite par Lartet au 19e siècle et, plus encore, d’une espèce connue en Allemagne, Gomphotherium steinheimense. Toutefois, les caractères évolués que l’on observe sur le crâne et la mandibule en font une forme tout à fait à part. Autrement dit, nous avons affaire à une nouvelle espèce. Telle n’est pas la moindre surprise surgie du lent dégagement du crâne du Comminges. L’étude scientifique est en cours. Le gomphothère de Montesquieu-Guittaut sera, à tous points de vue, un nouveau joyau du Muséum d’Histoire naturelle de Toulouse.


Bibliographie

  • Mille A., Michard J.-G. & Tassy P. 2015 Le secret de l’archéobélodon. Deux siècles d’enquête sur un fossile mythique. Belin/Editions du Muséum, Paris.
  • Tassy P. 2009 L’invention du mastodonte. Aux origines de la paléontologie. Belin, Paris.
  • Tassy P. 2018 Une histoire d’évolution. Poche-Le Pommier, Paris.

Photo d’en tête : au Muséum de Toulouse, Pascal Tassy dégage le crâne du mastodonte découvert en 2017 en Haute-Garonne.
CC by-sa-nc Lisa Cocrelle, Muséum de Toulouse