Ötzi, « l’homme des glaces », un véritable cold case
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Article rédigé parSERGE ERLINGER, Médecin, professeur honoraire des Universités, ancien directeur de laboratoire INSERMDOMINIQUE MORELLO, Chercheuse en biologie moléculaire, Directrice de Recherche au CNRS, retraitée. Membre de l’association Femmes & Sciences
Depuis la première lecture du génome humain au début des années 2 000, les progrès continus du séquençage de l’ADN permettent d’utiliser cette technique pour retracer notre histoire, étudier la biodiversité, suivre des épidémies, ou partir à la recherche de criminels. La génétique est devenue un outil incontournable. Quelques micro-traces d’ADN prélevées sur un défunt sont suffisantes pour nous renseigner sur les maladies dont il souffrait et les causes probables de sa mort. Ce récit s’inscrit dans une série de onze articles « De Beethoven à la Star’Ac : une enquête génétique et médicale », décrivant une dizaine de personnages illustres, morts ou encore vivants, chanteur, actrice, musicien, sportif, réalisatrice…, tous atteints d’une maladie héréditaire. Leurs maux sont décortiqués à l’aune de l’analyse de leur génome et des avancées médicales récentes.
Dans cet épisode, nous rencontrons Ötzi, le légendaire homme des glaces, âgé de 5 300 ans. Cette découverte exceptionnelle a ouvert de nouveaux champs d’investigation scientifique comme la toute première description d’un génome ancien d’une momie. Voyons ensemble les avancées récentes du séquençage de l’ADN ancien, partons à la découverte de maladies cardio-vasculaires et des premières infections humaines connues d’origine bactérienne dont Otzi était porteur.
Une découverte peu banale
Panorama dans les Alpes de l’Ötztal. Copyright : South Tyrol Museum of Archeology – www.iceman.it
Le 19 Septembre 1991, quelle ne fut pas la surprise de deux promeneurs, Erika et Helmut Simon, en découvrant un cadavre, enserré dans une gangue de glace près du refuge du Hauslabjoch, à 3210 m d’altitude dans la partie italienne du Tyrol (les Alpes de l’Ötztal), très proche de la frontière autrichienne.
L’été chaud de cette année-là avait provoqué une fonte importante du glacier du Hauslabjoch laissant apparaître celui qui allait devenir une des momies les plus célèbres du monde, l’homme de Hauslabjoch, surnommé aussi l’homme des glaces, ou Hibernatus ou encore Ötzi. Voici ce que rapporte Erika : » Mon mari marchait un peu devant moi, puis soudain, il s’est arrêté et m’a dit : « Regarde ce qu’il y a là ! », et j’ai dit : « Oh, c’est un corps… Puis mon mari a pris une photo, une seule, la dernière qu’il nous restait dans l’appareil. » M. Simon poursuit : « Nous pensions qu’il s’agissait d’un alpiniste ou d’un skieur qui avait eu un accident, peut-être dix ans ou deux ans auparavant. »
Mais nos deux alpinistes avaient fortuitement mis la main sur un homme préhistorique, naturellement momifié par congélation et déshydratation, ayant vécu il y a près de…5 300 ans, à l’âge du cuivre, comme l’ont révélé les datations au carbone 14.
Ötzi était omnivore, il mangeait gras
Son corps très bien conservé a donné lieu à de nombreuses recherches tant archéologiques, ethnologiques que médicales. En particulier, une analyse récente1 du contenu des aliments conservés dans son estomac et ses intestins a montré que contrairement à ce qui avait été suggéré préalablement, Ötzi n’était pas strictement végétarien mais omnivore. Une combinaison de microscopie et de plusieurs techniques ciblant différentes biomolécules (ADN ancien, protéines, métabolites et lipides) a révélé la présence de viande (cerf et bouquetin), de céréales (notamment épeautre), de graines, de fragments de fougère et de mousse.
Un régime somme toute bien adapté à une marche en haute altitude. Trop riche peut-être ? C’est ce que laisse supposer l’observation par tomographie d’une forte « calcification » des artères, notamment de l’aorte, comme si son régime comportant une part importante de gras avait entraîné un taux de cholestérol sanguin élevé et, donc, un risque d’athérosclérose accru (maladie touchant les artères sur lesquelles des dépôts de graisse – ou plaques d’athérome – s’accumulent). C’est ici que l’analyse du génome de l’homme des glaces va apporter des éléments très intéressants. Elle révèle en effet une prédisposition génétique à une maladie cardiovasculaire.
Plaque négative au collodion format 13x18cm. Inscription manuscrite par Eugène Trutat sur enveloppe : « Bouquetin des Pyrénées ». Fond Eugène Trutat conservé au Muséum de Toulouse
La première analyse génomique d’une momie
Mais n’allons pas trop vite car cela laisserait supposer qu’obtenir de l’ADN d’Ötzi, le séquencer et y découvrir, entre autres, une prédisposition à une maladie cardiovasculaire est un jeu d’enfant. Certes, Ötzi était conservé dans une gangue de glace qui le préservait d’une détérioration trop rapide mais n’oublions pas qu’il vivait il y a près de 5 300 ans et que le temps a fait son œuvre !
Maquette d’un Mammouth laineux au Musée royal de la Colombie-Britannique. CC BY 2.0 Thomas Quine via flickr
Il y a peu, au début des années 2 000, on pensait que séquencer le génome d’espèces disparues, comme celui du mammouth laineux ou de Néandertal était impossible, le coût du séquençage et la quantité d’ADN ancien requise étant considérables (voir encadré ADN ancien). Prenons l’exemple de l’ours des cavernes de la grotte Chauvet sur lequel les calculs suivants ont été faits : il aurait fallu, avec les techniques disponibles à cette époque, pas moins de 180 kg d’os fossilisés, plus de 48 000 années de travail et plusieurs milliards de dollars pour arriver à une lecture satisfaisante de son génome ! La paléogénomique ne s’appliquait alors avec succès qu’aux petits génomes microbiens2. La lecture du génome mitochondrial (ADNmt), l’ADN présent dans les mitochondries, plus petit et en quantité plus importante que l’ADN nucléaire (ADNn), est moins gourmande en matériel et moins coûteuse, mais n’apporte pas les mêmes renseignements (voir encadré ADN mitochondrial).
Et puis, la technologie évolua très rapidement. Les techniques et les plateformes de séquençage permirent de lire des millions de séquences simultanément, de les ordonner et de les comparer aux données préalablement accumulées. Parallèlement, on s’aperçut que le cheveu, quand il était disponible, était préférable à l’os car riche en ADN. En outre, il se prêtait bien aux protocoles de décontamination requis pour minimiser les risques, redoutés, d’une contamination par de l’ADN « moderne ». Et c’est ainsi que fut publié en 2 010 la séquence du premier génome humain ancien – celui d’un paléo-esquimau appartenant à la culture Saqqaq, vivant le long de la côte sud-ouest du Groenland il y a 4 000 ans3. D’autres séquences humaines anciennes suivirent rapidement, apportant une multitude d’informations sur les migrations et les mélanges des populations ancestrales.
C’est dans la foulée, en 2 012, que des chercheurs décryptèrent pour la première fois le génome d’une momie, celle de l’homme des glaces4, en extrayant l’ADN de son os iliaque gauche. En août 2023, une nouvelle lecture de ce même ADN a été réalisée, permettant d’affiner son analyse, avec une couverture plus profonde du génome et une quasi-absence de contamination par de l’ADN moderne5.
Ötzi n’aurait pas pu digérer le lait
Voici ce que nous apprennent ces études génomiques sur la physiologie et la santé d’Ötzi. Notre gaillard, presque chauve, avait probablement les yeux marron et la peau plutôt foncée, en tous cas plus foncée que celle des Européens du Sud actuels. Il appartenait au groupe sanguin O+. Il était intolérant au lactose (voir encadré intolérance au lactose) et porteur de gènes de prédisposition à l’obésité, au diabète de type 2, au développement d’une calvitie et d’une maladie cardiovasculaire (athérosclérose). Nous retrouvons ici la possibilité, mentionnée plus haut, que cette dernière prédisposition génétique associée à un régime riche en gras, ait entraîné une calcification des artères visible en tomographie. De plus, les chercheurs ont mis en évidence des séquences de Borrelia burgdorferi, montrant qu’Ötzi avait été contaminé par l’agent pathogène responsable de la redoutée maladie de Lyme (illustration : une tique). C’est le premier cas documenté d’une infection humaine par cette bactérie.
Tique. Gzen92. CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons
Crédit : Institut Pasteur/Christine Schmitt et Meriem El Ghachi- colorisation Jean-Marc Panaud
Bactérie Helicobacter pylori en microscopie électronique à balayage. Agent causal de pathologies de l’estomac : elle est responsable des gastrites chroniques, d’ulcères gastriques et duodénaux et elle joue un rôle important dans la genèse des cancers gastriques (adénocarcinomes et lymphomes).
Enfin, comme l’indique une étude antérieure, parue en 20166, l’estomac d’Ötzi contenait une autre bactérie, Helicobacter pylori, qui attaque la muqueuse gastrique, et entraîne, chez moins de 10% des porteurs de par le monde, une gastrite, pouvant éventuellement provoquer un ulcère, voire ultérieurement un cancer. L’étude poussée des séquences de cette bactérie a aussi apporté des renseignements précieux concernant son histoire évolutive : alors que la population d’H. pylori prédominant actuellement en Europe est une population hybride entre les deux souches primitives, asiatique et africaine, la bactérie présente dans l’estomac d’Ötzi est essentiellement d’origine asiatique. Ces études génétiques suggèrent ainsi que la population bactérienne d’origine africaine est arrivée en Europe dans les derniers millénaires, après Ötzi.
Une mort violente
Mais ni l’intolérance au lactose, ni la prédisposition à une maladie cardio-vasculaire, encore moins sa probable maladie de Lyme ne constituent des raisons suffisantes pour expliquer la mort de l’homme des glaces alors qu’il était âgé d’environ 45 ans. Alors, de quoi est-il mort ? Comme l’atteste l’examen de son squelette, il aurait subi deux attaques. L’une, quelques jours avant sa mort, aurait provoqué une blessure à la main droite, probablement due à un coup de couteau. Il n’aurait pas survécu à la deuxième attaque : une flèche armée d’une pointe en silex l’aurait pénétré au niveau de l’épaule gauche, perforant l’artère sous-clavière et provoquant une hémorragie fatale.
En résumé, si les multiples analyses de l’ADN d’Ötzi ne nous ont pas éclairés sur les causes de sa mort, elles n’en constituent pas moins une source inestimable, et peut-être inépuisable, d’informations sur un très rare descendant des agriculteurs du début du Néolithique. La fascination pour Ötzi ne retombe pas : Brad Pitt s’est fait tatouer l’homme des glaces sur son avant-bras droit !
Références
Maixner, F. The iceman’s last meal consisted of fat, wild meat and cereals. Current Biology 28, 2348-2355, 2018.
Der Sarkissian, C. et al. Ancient genomics. Philosophical Transactions of the Royal Society 370, 1-12, 2015.
Rasmussen, M. et al. Ancient human genome sequence of an extinct palaeo-eskimo. Nature, 463, 757-762, 2010.
Keller, A. et al. New insights into the tyrolean iceman’s origin and phenotype as inferred by whole-genome sequencing. Nature Communications, 698, 1-9, 2012.
Wang, K. et al. High coverage genome of the tyrolean iceman reveals unusually high anatolian farmer ancestry. Cell Genomics 3, 100377, 2023.
Maixner, F. et al. The 5 300 year old Helicobacter pylori genome of the iceman, Science 351, 162-165, 2016.
Maquette d’un Mammouth laineux au Musée royal de la Colombie-Britannique. CC BY 2.0 Thomas Quine via flickr.
Les premières analyses d’ADN ancien furent entreprises en 1984, lors de l’étude d’un spécimen muséal de quagga, une espèce de zèbre éteinte en 1883 du fait de sa sur-chasse. A partir de muscle séché de ce spécimen naturalisé, de très courts fragments d’ADN (229 paires de bases) furent préparés et séquencés. Mais les premiers génomes nucléaires (ADNn) anciens complets n’ont été caractérisés qu’à partir de 2 010 suite à l’avènement des techniques de séquençage à haut débit de « nouvelle génération » (NGS, Next Generation Sequencing)1. L’accumulation de données génomiques anciennes s’est poursuivie sur des milliers de spécimens archéologiques variés (graines, bois, os, coquilles, poterie, bijoux, plumes, peau, cheveux, dents, fèces…). Les progrès techniques continuent, de sorte que s’ouvrent de plus en plus de champs d’investigation dans des domaines aussi variés que l’archéologie, l’écologie, l’évolution, avec une attention particulière à l’histoire des populations humaines, la domestication des plantes et des animaux, les origines et l’évolution des pathogènes… Ainsi, les génomes du mammouth laineux, de l’ours des cavernes, de nombreuses populations humaines, y compris Néandertal et Denisova, sont maintenant décryptés2. Et le record du plus ancien génome séquencé à ce jour est détenu par le mammouth, dont deux spécimens conservés dans le pergélisol sibérien, datés de 1,3 et 1,65 million d’années, ont été séquencés en 20223. (illustration éventuellement mammouth laineux).
Les technologies de séquençage progressent encore, le rendant de moins en moins coûteux et toujours plus informatif. Remercions le Comité Nobel qui a mis sous les projecteurs la paléogénomique en récompensant de son prestigieux prix en Octobre 2022 le suédois Svante Pääbo. Ce biologiste fut l’un des premiers à extraire et séquencer de l’ADN ancien, et sa contribution au développement de nouvelles techniques de séquençage est inestimable.
Références
Orlando, L, et al. Ancient DNA analysis. Nature Reviews 14, 1-26, 2021
L’ADN mitochondrial (ADNmt) se trouve dans les mitochondries, petits organites cytoplasmiques qui permettent aux cellules de produire l’énergie indispensable à toute activité. Il est présent en un nombre de copies plus important que l’ADN nucléaire (ADNn). En effet, certaines cellules, comme les cellules musculaires, peuvent contenir plusieurs centaines de mitochondries, donc plusieurs centaines de molécules d’ADNmt, alors que seulement une molécule d’ADNn (double brin) est présente dans chaque cellule. Le nombre élevé d’exemplaires de l’ADNmt permet ainsi d’avoir une plus grande chance d’en trouver même dans des échantillons fortement dégradés. Avec son taux de mutations plus élevé que celui de l’ADNn, l’étude de l’ADNmt apporte des renseignements phylogénétiques (relations de parenté entre les espèces) et permet d’établir des liens de parenté familiale strictement maternels : en effet, il est transmis uniquement par les mères (transmission matrilinéaire : arrière-grand-mère > grand-mère > mère > fille). Une lecture complète de l’ADNmt d’Ötzi a été réalisée en 2 008 à partir d’une toute petite quantité (70 mg) de son rectum1 !
Si Ötzi avait bu du lait, il ne l’aurait pas digéré. Il aurait été, comme on dit maintenant, intolérant au lactose (le sucre du lait). Pourquoi ? Parce qu’il ne produisait pas la lactase, l’enzyme qui permet de digérer le lait cru. Cette enzyme est normalement produite chez le nourrisson, permettant la digestion du lait maternel, puis elle disparait progressivement et son niveau est chez l’adulte 10 à 20 fois plus faible qu’à la naissance. Au cours du Néolithique, les chèvres, les brebis, les vaches ont été petit à petit domestiquées et leurs élevages se sont intensifiés. En parallèle, chez l’humain, des mutations permettant le maintien de la production de lactase après la fin de la petite enfance ont été sélectionnées, conférant à ses porteurs un avantage sélectif puisqu’ils bénéficiaient ainsi de la possibilité de boire du lait frais et d’en tirer une source d’énergie.
Plusieurs mutations localisées non pas sur le gène de la lactase lui-même mais sur une région régulatrice en amont du gène ont été décrites, assurant un maintien de synthèse de lactase chez l’adulte. Ces mutations sont dominantes : l’individu qui en est porteur à l’état hétérozygote fabrique l’enzyme. Ötzi n’en était pas porteur, ces mutations étant encore très rares à son époque1. Il aurait donc certainement été intolérant au lactose. Actuellement, l’intolérance au lactose (hypolactasie) affecte plus de 75% de la population mondiale, avec des fréquences régionales allant de 5% en Europe du Nord (où donc 95% des gens sont tolérants au lactose) à plus de 90% dans certains pays africains et asiatiques2.
Figure 1 : Représentation colorée de la persistance de production de la lactase dans le monde. Les plus fortes fréquences (en rouge) sont rencontrées dans le Nord-Ouest de l’Europe. Dans l’Est de l’Asie la fréquence est très faible (en bleu foncé). D’après référence ii.
Références
Burger, J. et al. Absence of the lactase-persistence-associated allele in early neolithic europeans. Proceedings of the National Academy of Sciences. 104, 3736-3741, 2007
Gerbault, P. et al. Evolution of lactase persistence: an example of human niche construction. Philosophical Transactions of the Royal Society of London, 366, 863-87, 2011
Image d’en tête :Reconstitution de l’homme des glaces, Musée archéologique de Bolzano. Copyright : South Tyrol Museum of Archeology –www.iceman.it
Série : De Beethoven à la Star’Ac : une enquête génétique et médicale
Dans cet épisode, nous rencontrons Ötzi, le légendaire homme des glaces, âgé de 5 300 ans. Cette découverte exceptionnelle a ouvert de nouveaux champs d’investigation scientifique comme la toute première description d’un génome ancien d’une momie.
Cette histoire concerne Beethoven. Ses biographes nous disent tous qu’il est mort d’une cirrhose alcoolique, mais nous constaterons que cette hypothèse est largement contredite par une analyse récente de son ADN extrait… d’une mèche de ses cheveux !