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Découverte et reconstitution de l’oiseau géant disparu Gastornis laurenti

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Article rédigé par YVES LAURENT
Gestionnaire et préparateur au Muséum de Toulouse, découvreur du Gastornis laurenti et président de l’Association Paléontologique du Sud-Ouest.

Il y a 52 millions d’années, un oiseau géant baptisé Gastornis arpentait la savane du Sud de la France. Avec ses 1 m 70 de hauteur et son bec puissant il a longtemps été considéré comme un superprédateur au sommet de la chaîne alimentaire.

Des fouilles systématiques entreprises depuis une vingtaine d’années ont permis la description d’une nouvelle espèce grâce à la découverte, en mai 2018, d’un squelette partiel à même d’être comparé avec les autres espèces de Gastornis. Cette nouvelle espèce, baptisée Gastornis laurenti, en diffère notamment par la morphologie de la mandibule, du maxillaire et du carré.

L’exposition « Géants » a été l’occasion de reconstituer cet oiseau inapte au vol en complétant le spécimen avec les fossiles d’autres individus et avec des modelages 3D pour les parties manquantes.

Historique des découvertes : Gastornis vs Diatryma

Le premier reste de cet oiseau géant, un tibiotarse (os de la patte), a été découvert en 1855 dans le conglomérat de Meudon par le physicien Gaston Planté et c’est le géologue Edmond Hébert qui le nomma Gastornis, signifiant « oiseau de Gaston » en l’honneur de son découvreur.

Portrait de Gaston Planté, le découvreur de Gastornis.

Portrait de Gaston Planté, le découvreur de Gastornis.Domaine public.

De l’autre côté de l’Atlantique, des expéditions menées au Nouveau-Mexique par Edward Drinker Cope permirent la découverte en 1876 d’un os de la patte (un tarsométatarse) d’un oiseau géant qu’il nomma Diatryma.

Il faudra attendre 1881 pour que le médecin Victor Lemoine, passionné de paléontologie, propose une reconstitution de l’oiseau européen suite à la découverte de fossiles complémentaires dans les environs de Reims. Il représente alors Gastornis comme un grand oiseau, haut sur pattes, arborant un long cou et un bec allongé muni d’excroissances assimilables à des dents.

Planche de Gastornis edwardsii (Lemoine, 1881, pl. XI).
Domaine public.

En 1917 deux paléontologues américains, William Matthew et Walter Granger, décrivent un squelette presque complet trouvé dans l’Éocène du Wyoming. Il s’agit d’un oiseau massif de près de 2 mètres de haut, au bec énorme sans dents et au cou robuste. Ils ne reconnaissent pas le Gastornis reconstitué par Lemoine 30 ans auparavant et l’attribuent logiquement au genre Diatryma créé par Cope en 1876. Dès lors, ces nombreuses différences et l’exceptionnelle préservation de ce squelette de Diatryma, vont pousser la communauté scientifique à séparer totalement les deux genres et même à éclipser presque le nom de Gastornis en Europe.

Pour clarifier cette situation, il faudra attendre 1992 lorsqu’une révision complète des fossiles utilisés par Lemoine pour sa reconstitution soit menée par le paléontologue Larry Martin. La conclusion est sans appel : la grande majorité des ossements utilisés par Lemoine en 1881 n’appartiennent pas à un oiseau et plus particulièrement les éléments du crâne. En parallèle, l’étude de nouveaux restes fossiles trouvés dans le paléocène des environs de Reims révéla à Larry Martin que l’anatomie du Gastornis européen était finalement très proche du Diatryma américain : ils devaient appartenir à un seul et même genre.

Le nom le plus anciennement proposé, dès 1855, étant Gastornis par rapport à Diatryma, plus récent, les fossiles de cet oiseau géant ont tous été attribués au genre Gastornis et le genre Diatryma a changé de statut, devenant un synonyme.

Reconstitution du squelette de Diatryma d’après le squelette AMNH 6169 de l’éocène inférieur du Wyoming par Matthew et Granger (1917). Matthew, William Diller, 1871-1930.Granger, Walter, 1872-1941.Stein, William, paleontologist.
Public domain, via Wikimedia Commons.

Régime alimentaire de Gastornis

illustration de Gastornis
Gastornis laurenti, représentation actuelle.
Crédit : Guy Le Roux.

Avec son grand bec puissant relativement court, Gastornis a longtemps été considéré comme un superprédateur au sommet de la chaîne alimentaire. Surnommé « l’oiseau terreur », il fut souvent représenté en train de dévorer de petits mammifères périssodactyles* comme Hyracotherium ou Propalaeotherium, des animaux à l’allure d’un cheval mais mesurant 40 cm au garrot. Mais, en 1992, l’étude biomécanique de la mâchoire par l’ornithologue Allison Andors avait conclu à un régime herbivore. Il faudra toutefois attendre 2014 pour que ce débat soit définitivement clos et qu’il soit clairement établi que Gastornis avait un régime végétarien. Son bec massif très élevé et comprimé latéralement permettait de broyer et découper les végétaux, comme des fruits ou des graines. L’étude de la mandibule montre des muscles adducteurs, servant à fermer les mâchoires, fortement développés et un muscle ptérygoïde* très réduit, caractérisant les oiseaux herbivores se nourrissant de végétaux coriaces (Angst et al., 2014).

Parallèlement des analyses géochimiques des ossements fossiles – de la composition isotopique du carbone – ont été effectuées tout en calibrant la méthode sur deux oiseaux actuels, l’un carnivore (Vautour) et l’autre herbivore (Autruche). L’étude a conclu également que Gastornis était herbivore.

Répartition géographique de Gastornis

L’oiseau géant terrestre Gastornis a connu un incroyable succès évolutif au début de l’ère Tertiaire avec une vaste répartition géographique. Il est apparu il y a 60 millions d’années (Ma) au Paléocène en Europe, où le plus ancien fossile est signalé dans le Sélandien de Walbeck (Allemagne). Il a ensuite colonisé l’Amérique du Nord via le Groenland à la faveur d’un réchauffement climatique survenu il y a 56 Ma. Puis il a probablement atteint l’Asie via le détroit de Béring depuis l’Amérique du Nord puisqu’à cette époque la mer de Tourgaï, située au niveau de l’actuel Oural, séparait l’Europe de L’Asie. Il s’est éteint à l’Éocène moyen, en Europe, il y a 42 Ma où sa dernière occurrence est attestée dans le Lutétien de Geiseltal (Allemagne).

Huit espèces valides de Gastornis ont été décrites à ce jour dont certaines connues par très peu de restes voire un seul :

  • Gastornis parisiensis (France, Belgique, Angleterre)
  • Gastornis russeli (France)
  • Gastornis laurenti (France)
  • Gastronis sarasini (France)
  • Gastornis geiselensis (Allemagne)
  • Gastornis giganteus (USA, Canada)
  • Gastornis regens (USA)
  • Gastornis xichuanensis (Chine)
Carte paléogéographique de l’Éocène inférieur montrant la dispersion possible du Gastornis (d’après Buffetaut, 2013).

Découverte de la nouvelle espèce Gastornis laurenti en Occitanie

Préparation de la zone de fouille au tractopelle.
Crédit : Yves Laurent.
Fouilles La Borie, mai 2018.
Crédit : Yves Laurent.

La nouvelle espèce baptisée Gastornis laurenti, a été découverte à La Borie (Aude) en 2018 dans une exploitation d’argile de la Société Terreal. Les recherches précédentes avaient déjà fourni quelques restes isolés de cet oiseau géant mais pas assez caractéristiques pour permettre d’identifier un nouveau taxon. Les fouilles ont permis de mettre au jour un ensemble important de restes d’un seul et même individu : une mandibule, les trois premières vertèbres cervicales, une vertèbre dorsale, le pygostyle, deux humérus, un radius, une ulna, un fémur, deux tibiotarses, une fibula, un métatarse et trois phalanges.

Schéma du squelette de Gastornis laurenti montrant (en rouge) les ossements retrouvés du même individu, complétés par des ossements isolés, récoltés lors des campagnes précédentes (réalisation Sylvain Duffaud).
Mandibule de G. laurenti lors de sa découverte.
Crédit : Yves Laurent.

La mandibule a permis notamment une comparaison précise avec celle des espèces déjà connues comme Gastornis parisiensis du Paléocène d’Europe et Gastornis giganteus de l’Éocène inférieur d’Amérique du Nord. Des différences assez marquées ont été observées lors de cette étude pour autoriser l’établissement d’une nouvelle espèce.

Reconstitution de Gastornis laurenti par un montage ostéologique innovant

La description en 1917 du squelette de Gastornis giganteus de l’Éocène inférieur du Wyoming a permis une reconstitution fiable de cet animal, révélant ainsi ses dimensions. L’espèce G. giganteus est la plus grande, elle mesure près de 2 mètres de haut pour un poids supérieur à 200 kg. Il s’agissait jusqu’à présent du seul squelette connu et largement reproduit sous forme de modèles en résine dans divers musées du monde.

La découverte des nombreux ossements appartenant à un même individu sur le site de La Borie offre une base solide à la reconstitution de Gastornis laurenti, en les complétant par les fossiles d’autres individus et avec des modelages 3D pour les parties manquantes.

L’utilisation d’un scanner surfacique a permis de capturer en trois dimensions chaque ossement fossile trouvé. Tous les autres ossements manquants ont été, soit dupliqués à partir des originaux par effet de symétrie, soit modélisés grâce au logiciel Blender®.

Crâne de Gastornis laurenti en cours de modélisation sur Blender®. Les parties trouvées – maxillaire, carré et mandibule – sont associées au reste du crâne en cours de modélisation, réalisation : Sylvain Duffaud.
Crédit : Lisa Cocrelle.

Un modèle 3D du squelette dans son entier a été créé afin de décider de la pose envisagée pour son soclage et la présentation au public. Ce même modèle a aussi servi de base pour visualiser l’armature métallique destinée au maintien de tous les éléments du squelette.

Ce montage exceptionnel va permettre également de remplacer les parties manquantes en résine par des vrais ossements fossiles au fur et à mesure des futures découvertes. Il s’agit en outre de la première reconstitution du squelette de Gastornis laurenti, dans un montage qui prend en compte les dernières connaissances scientifiques sur ces animaux.

Squelette de Gastornis laurenti présenté dans l’expo « Géants », réalisation : Adam Huyet et Benoit Gransac.
Crédit : Brice Viallard.

Disparition de Gastornis

Gastornis s’est éteint à l’Éocène moyen (Lutétien) il y a 42 Ma. Sa dernière mention dans le registre fossile est signalée en Allemagne. Il disparaît alors qu’on constate une chute mondiale des températures, entraînant un changement important de son environnement. Le paysage laisse place à de grandes prairies herbeuses (savane à graminées) favorables à une diversification rapide des mammifères ongulés européens. Dès lors, ces troupeaux d’herbivores plus spécialisés auraient pu entrer en compétition avec Gastornis pour accéder aux ressources et amorcer ainsi sa disparition.

Film – Face à face avec Gastornis, l’oiseau géant disparu

Ce film documentaire de 30 min a été projeté en avant-première à l’auditorium du Muséum le 5 décembre 2024 en présence des paléontologues Alexandre Mille, du Muséum de Toulouse et Sylvain Duffaud, de la Société Paléoscènes, spécialisée en numérisation et impression 3D. Il s’agit d’une réalisation du Muséum de Toulouse.


Définitions

  • Les périssodactyles sont un ordre de mammifères ongulés possédant un nombre impair de doigts aux membres postérieurs. Ils sont actuellement représentés par les équidés (chevaux, ânes et zèbres), les rhinocéros et les tapirs.
  • Le muscle ptérygoïde est un muscle masticateur permettant de mouvoir la pointe du bec. Ce muscle est particulièrement developpé chez les oiseaux carnivores actuels.

Bibliographie

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  • Mourer-Chauviré C., Bourdon E., Duffaud S., Le Roux G. and Laurent Y., 2024. New avian remains from the early Eocene of La Borie, southern France. Geobios 83 : 61-84.

Photo d’en tête : Montage de Gastornis laurenti dans l’atelier du Muséum de Toulouse. CC BY SA Lisa Cocrelle, Muséum de Toulouse