Les bases du fonctionnement de la biodiversité dans une forêt tempérée

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Article rédigé par STÉPHANE MOUNTELS
Chef de projet de l’espace Biodiversité du Muséum de Toulouse.
Référent scientifique : CHRISTOPHE THÉBAUD
Biologiste spécialisé en sciences de l'évolution et en écologie ( UT3 Paul- Sabatier ).

Biodiversité… un terme désormais rentré dans nos foyers, associé le plus souvent à des mots qui évoquent un problème, tels « chute », « extinction » ou « crise ».

Mais de quoi parle-t-on au juste ? Savez-vous précisément ce que définit le terme « biodiversité » ? Quels sont les risques liés à son déclin, au-delà des chiffres que l’on peut entendre ici ou là ?

Pour répondre à ces questions et à bien d’autres, il est essentiel de comprendre les bases du fonctionnement d’un écosystème et pour cela, nous prendrons l’exemple de la forêt de Bouconne, toute proche de Toulouse.

Mais avant toute chose, penchons-nous sur ce que définit le terme de « biodiversité ».

La biodiversité, c’est quoi ?

Spontanément, on peut penser à la diversité des espèces présentes sur Terre : plusieurs millions si l’on ne compte que celles qui sont identifiées. C’est un premier aspect de la définition de ce qu’est la biodiversité, qui correspond à la biodiversité spécifique.

Ensuite, chaque espèce compte plus ou moins d’individus. Chacun d’entre eux est unique, qu’il soit un être humain, un geai, un chêne, un ver de terre bref, quelle que soit l’espèce qui est la sienne.
C’est un deuxième niveau, elle correspond à la diversité des individus. On appelle ça la biodiversité génétique. Il faut bien avoir en tête que cette notion de diversité génétique est très importante car c’est un rouage essentiel de la dynamique de l’évolution.

Le troisième niveau concerne la diversité des écosystèmes. De quoi parle-t-on ?
Un Geai des chênes par exemple, espèce emblématique de la forêt de Bouconne, vit dans les forêts tempérées. D’autres espèces vivent sur la banquise, d’autres dans les déserts, d’autres encore en milieu marin, etc.
Chaque milieu a ses propres caractéristiques : par exemple, le niveau d’humidité en forêt amazonienne n’est pas le même qu’au Sahara, pas plus que la structure du sol ou la température.
Chacun d’entre eux accueille différentes espèces qui interagissent entre elles et avec leur milieu particulier. Ce sont ces ensembles qui forment des écosystèmes, qui sont donc très différents les uns des autres.

Pour résumer, la biodiversité, c’est à la fois la biodiversité génétique, la biodiversité des espèces et la biodiversité des écosystèmes.

Mais il ne faut pas s’imaginer que la vie des espèces est un long fleuve tranquille.
Si les relations qui les unissent à d’autres leur sont souvent bénéfiques, elles peuvent parfois leur être préjudiciables.
Nous avons tous notre cortège d’ennemis, parfois minuscules comme des virus !

Crédit : Marc Loumiet, Muséum de Toulouse

La biodiversité, comment ça fonctionne?

De la plus petite des bactéries au plus grand de tous les arbres du monde, des réseaux d’espèces se forment, fonctionnent et évoluent depuis des millions d’années et constituent, avant tout, un monde d’entraides, d’alliances et de coopérations.

Même les plantes, pourtant autonomes au niveau alimentaire, unissent leurs racines avec des champignons du sol qui deviennent leurs partenaires pour la vie.

Vous-mêmes, êtres humains, faites partie de cette grande chaîne que forme le Vivant et êtes à ce titre, certainement plus que vous ne le pensez, dépendants d’une riche biodiversité.

Si l’on prend pour exemple le chêne pubescent et le geai, tous deux très présents dans la forêt de Bouconne, chacune de ces deux espèces a une action bénéfique sur l’autre : le chêne assure une bonne partie de l’alimentation du geai puisque le geai raffole des glands. Il aime tellement ça qu’il en fait des réserves pour l’hiver, en les enterrant. Et comme il en oublie, certains de ces glands peuvent se développer : le geai aide ainsi le chêne à se reproduire en disséminant ses graines. Cette relation à bénéfice réciproque est appelée mutualisme. Elle est largement répandue dans le monde vivant.
Mais le geai n’est pas le seul à aimer les glands. L’écureuil ou le sanglier, pour ne citer qu’eux, en sont également très friands. On dit qu’ils sont en compétition avec le geai et cette compétition, au même titre que les relations de prédation, participe à la régulation des effectifs de chaque espèce.

Copie-écran du jeu quiz « relations entre espèces » présent dans l’espace Biodiversité de l’exposition permanente du Muséum de Toulouse.
Crédit : Agence gleech.

Un autre aspect important du fonctionnement de la biodiversité est le rapport alimentaire qui unit plusieurs espèces, qui forme alors ce que l’on nomme « un réseau trophique » ou plus communément, une chaîne alimentaire. En fonction de ce dont il se nourrit, un être vivant a une certaine place dans cette chaîne. À la base de chacune d’elles, on trouve une plante. C’est le cas du chêne qui lui-même, constitue le restaurant préféré d’espèces frugivores ou omnivores, comme le geai. Le geai va devenir une ressource alimentaire pour des espèces carnivores qui peuvent elles-mêmes être la proie de prédateurs plus imposants. Ce véritable réseau alimentaire s’accompagne, à chaque prédation, d’un transfert de matière et d’énergie.
Chaque être vivant constitue de la matière organique et, lorsqu’il est mangé, une partie de cette matière va fournir de l’énergie à son prédateur.
Celui-ci va rejeter tout le reste via ses selles, qui vont elles-mêmes alimenter les sols et les enrichir.

Mais la biodiversité ne se résume pas aux espèces visibles et donc facilement identifiables. Un écosystème comme une forêt tempérée regroupe en réalité une multitude d’éléments plus petits : on parle alors d’habitats et même de micro-habitats. Chaque arbre en est un : il accueille en effet une multitude d’espèces et pas seulement les oiseaux qui viennent y construire leur nid pour y installer leur progéniture. De nombreux insectes, entre autres, y évoluent et viennent y pondre. C’est ainsi que l’on peut trouver des larves un peu partout, sous les écorces d’un arbre ou dans les trous creusés par un pic par exemple. Le chêne est particulièrement réputé pour accueillir une biodiversité foisonnante, jusque dans ses glands !

Mais ce n’est pas tout : même mort, un arbre accueille encore différentes espèces.
Certaines viennent y pondre, d’autres s’en nourrissent, décomposant ainsi la matière organique qui va enrichir les sols.

Sculpture de gland dans l'espace Biodiv du Muséum de Toulouse (forêt tempérée)
Sculpture de grande taille du gland, du Balanin du Chêne et de sa larve.
Crédit : Ambre Bonnefoi, Muséum de Toulouse

Les sols, un trésor à préserver

Aperçu du film « Le sol, maillon essentiel de la vie sur Terre » présenté dans l’espace Biodiversité de l’exposition permanente du Muséum de Toulouse.
Crédit : Jean-Gabriel Loquet – OniRixel, Muséum de Toulouse.

Les sols : voilà un écosystème encore trop peu connu qui présente pourtant une importance capitale dans la lutte contre le dérèglement climatique et le stockage de l’eau. Le sol est la couche superficielle de la croûte terrestre. Son épaisseur est en général comprise entre 1 et 5 mètres.

Il abrite une biodiversité foisonnante composée de mammifères, d’arthropodes, de bactéries, de virus, de champignons ou de vers de terre qui représentent, à eux tous, environ 60 % de la biodiversité totale de la Terre.

Ces organismes sont indispensables au développement de nombreuses plantes grâce à leur capacité à aérer le sol, favorisant ainsi la circulation de la matière et de l’eau, et à l’enrichir en minéraux comme le fer ou le calcium dont nous sommes tous constitués. Grâce à la biodiversité et aux matières organiques mortes qui les jonchent, les sols concentrent également beaucoup de carbone.

Enfin, un peu comme une éponge, ils peuvent stocker de grosses quantités d’eau, limitant ainsi les risques d’inondation.

Rupture d’équilibre

Sanglier dans l'espace Biodiv au Muséum de Toulouse (forêt tempérée)
Renard et faisan dans l'espace Biodiv au Muséum de Toulouse (forêt tempérée)
Sanglier, renard et faisan. Collection du Muséum de Toulouse.
Crédit : Ambre Bonnefoi, Muséum de Toulouse

Nous l’avons vu, le fonctionnement d’un écosystème repose sur des réseaux d’interactions entre les espèces qui le composent et les flux de matière et d’énergie qui le traversent. Derrière une apparente stabilité, un écosystème est donc en évolution dynamique permanente.

Mais cet équilibre dynamique est susceptible de se rompre dès lors qu’un élément perturbateur vient le bousculer. Ainsi, quand une forêt fait l’objet de coupes rases, de nombreuses espèces disparaissent avec leur habitat, entraînant des réactions en chaîne dans les réseaux qui unissent les espèces entre elles. Les cycles sont rompus, du moins temporairement.

Et quand une forêt est abattue pour faire place à des installations telles que des routes ou des bâtiments, ils le sont définitivement.

Conclusion

Ainsi, la biodiversité est partout, visible et invisible.
Elle commence dans le corps de chacun d’entre nous et s’étend partout sur la planète, y compris dans des milieux présentant des conditions extrêmes comme par exemple dans les déserts ou en très haute altitude.

Plus un écosystème accueille une riche diversité d’espèces, avec chacune une importante diversité génétique, plus il est résilient, solide et durable face aux perturbations extérieures.
Cette réalité est également valable pour notre corps.

Silencieux, méconnu et bien moins médiatisé que la crise climatique, le déclin de la biodiversité est l’enjeu environnemental majeur de notre siècle.


Photo en tête : Illustration extraite de la vidéo Coupe Blanche présentée dans l’espace Biodiversité de l’exposition permanente du Muséum de Toulouse (France). Crédit : Titia Thomann